Valère Novarina
Valère Novarina, écrivain, homme de théâtre.
"Drôle de drame" est le titre que choisit Philippe Sollers pour sa préface au "Drame de la vie" pour la réédition de ce texte par Gallimard en 2003. Il écrit :
"Tout écrivain, un jour ou l'autre, rêve de tout recommencer, de défier la bible et ses généalogies, d'écrire sa légende des siècles, de reprendre la question de l'engendrement et de l'origine, bref de défier Dieu...
Et plus loin : "Il est fou, ce Novarina ? Bien sûr, mais avec méthode. Il veut moins être lu qu'entendu."
Le drame de la vie (1984). P.O.L. éditeur.
ADAM : D’où vient qu’on parle ? Que la Viande s’exprime ?
Il sort (…)
DOCTEUR LODON : Qu’est-ce qu’ils font ?
LE MORT : Ils font des bonds, appellent des yeux, lancent des signaux intelligents.
DOCTEUR LODON : Qu’est-ce qu’ils sont ? Personne ne répond. Qu’est-ce qu’ils font ? Personne ne répond.
LE MORT : Ils son. Les hommes son.
Lettre aux acteurs. (1986). Actes Sud
J’écris par les oreilles. Pour les acteurs pneumatiques. (…)
Tout théâtre, n’importe quel théâtre, agit toujours très fort sur les cerveaux, ébranle ou perpétue le système dominateur. Je veux qu’on m’y change mes perceptions. Faut qu’urge la fin du syste. Faut urger ! Il urge qu’on mette la fin, commence la chute du système de reproduction en cours.
Qu’est-ce que ça veut dire ? ça veut dire que ceux qui dominent, Madame, ont toujours intérêt à faire disparaître la matière, à supprimer toujours le corps, le support, l’endroit d’où ça parle, à faire croire que les mots tombent droit du ciel dans le cerveau, que ce sont des pensées qui s’expriment, pas des corps. (…)
Chaos. (2007). P.O.L.
Lire Rabelais, c’est une navigation très épuisante, très fatigante. Tout le corps doit rejouer, ça redéfait toutes les idées. C’est une dépense usante : c’est redécouvrir sous la langue française toute une profondeur respirée qu’on avait oubliée, qu’on voulait nous faire oublier, tout un orchestre intérieur et des muscles chanteurs qui travaillaient plus. C’est dur… J’aime me jeter vraiment dedans tout seul, Sans traduction, sans guide, sans notes, faire le voyage oral avec lui. Trouver comme il respire. Chercher à le respirer. Le rejouer. Lire, c’est changer de corps ; c’est faire un acte d’échange respiratoire, c’est respirer dans le corps d’un autre. Il n’y a pas de lecteur, d’écrivain, mais deux voyageurs arrachés à un monde, départis, l’un et l’autre vêtus de langues, toute leur chair n’étant que de mots. Entre les deux, en lisant, en écrivant, il se produit de l’homme, il naît de l’homme en parlant. Il y a une naissance et une renaissance, un croisement d’amour, et un resurgissement perpétuel dans l’écriture. L’écriture est résurrectionnelle. (…)
C’est des paroles que nous prononçons, de la manière dont elles nous traversent, que tout dépend. Nous sommes dans les mots. Les mots sont, à la fois, la forêt où nous sommes perdus, notre errance, et la manière que nous avons d’en sortir. Notre parole nous perd et nous guide.
Notre parole. (2007) P.O.L.
… Le métronome s’installe partout, la mécanique du oui ou non… Alors que l’humain, au contraire de l’ordinateur et du chien n’est pas une machine à japper oui ou non, à ânnoner , le plus, le moins, à acheter ou pas (…) mais un animal qui répond par questions, qui ne sait pas toujours tout tout de suite, qui ferme les yeux parfois pour voir, doit inspirer-expirer pour savoir, brûler les choses en mots contraires, souffrir sa phrase, parler son drame. Celui qui pense comme il respire. (…)
Parler n’est pas communiquer. Toute vraie parole consiste, non à délivrer un message, mais d’abord à se délivrer soi-même en parlant. Celui qui parle ne s’exprime pas, il renaît. Parler respire et la pensée délie. Toute vraie parole est résurrectionnelle.
Parler n’est pas échanger des choses, communiquer des mots sonnants et trébuchants, parler n’est pas un échange marchand, un marchandage de mots vendus, de vérités à vendre ; parler est une renaissance à deux et un don. La parole se donne, ne s’échange pas. Il y a dans la parole humaine comme une danse et quelque chose qui s’offre, et comme le don de parler qui se transmet, la transmission du don de parler que nous avons reçu. (…)
Les hommes parlent à l’interrogatif, ils se donnent leurs questions : il n’y a que les machines qui s’informent et qui communiquent parfaitement.
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