Jürgen Habermas
Habermas, J. (1988/ traduction française 1993). La pensée post-métaphysique. Essais philosophiques. Paris Armand Colin
Première partie : Retour à la métaphysique ?
Chapitre I : L’horizon de la modernité se déplace
Selon l’auteur, quatre grands courants ou ensembles philosophiques se détachent au vingtième siècle : la philosophie analytique, la phénoménologie, le marxisme occidental et le structuralisme. Ces mouvements de pensée connaissent des ramifications, « ainsi l’analyse du langage se développe-t-elle à la fois à travers les voies d’une théorie de la science et à travers celles d’une théorie du langage ordinaire. » (p. 10).
Ce courant de la philosophie analytique est celui qui est dominant dans les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale.
« L’aspect spécifiquement moderne qui se retrouve dans l’ensemble de ces mouvements de pensée réside moins dans leur méthode que dans leurs thèmes. Quatre thèmes sont caractéristiques de leur rupture avec la tradition. Les mots-clés qui les définissent sont les suivants : pensée postmétaphysique, tournant linguistique, raison située et inversion du primat de la théorie par rapport à la pratique, autrement dit dépassement du logocentrisme. » (p. 12).
« Le changement de paradigme que représente le passage d’une philosophie de la conscience à une philosophie du langage constitue une coupure tout aussi profonde que la rupture avec la métaphysique. (…) Le travail de reconstruction des linguistes prend la place d’une introspection difficilement contrôlable. En effet, les règles selon lesquelles s’enchainent les signes, se forment les phrases, se produisent les énonciations, peuvent être dégagées des configurations linguistiques qui sont, pour ainsi dire, des réalités s’offrant à nos yeux. » (p. 13).
« Le tournant linguistique, ensuite, a donné à l’activité philosophique une base méthodologique plus solide et lui a permis d’échapper aux apories de la théorie de la conscience. » (p. 14).
Chapitre II : La métaphysique après Kant
On peut diviser l’histoire de la philosophie en trois grandes époques qui s’appuient en gros sur les concepts d’ « être », de « conscience » et de « langage », et faire « une distinction analogue entre les modes de pensée que sont l’ontologie, les philosophies réflexives et la pensée linguistique. » (p. 20).
« Les tentatives pour penser l’ « incarnation » de la conscience transcendantale dans le langage, l’action et le corps, et pour « situer » la raison dans la société et dans l’histoire, ont accumulé en leur faveur un potentiel d’argumentation considérable.
« Les objections de Henrich m’amènent à préciser (…) en quoi se distinguent le paradigme de la conscience et celui de l’entente, (…) le passage d’une explication des opérations de compréhension et de communication en termes d’intention à une explication en termes de théorie du langage... » (p. 31).
« Une théorie du langage peut accorder une importance égale à la relation à soi et à la forme de la proposition, dès lors qu’elle (…) s’oriente vers une pragmatique des énonciations par lesquelles les locuteurs s’entendent sur quelque chose. »
« Les relations interpersonnelles réciproques et déterminées par les différents rôles des locuteurs créent la possibilité d’un rapport à soi qui ne présuppose nullement que le sujet connaissant ou agissant réfléchisse solitairement sur soi en tant que conscience préalable. La relation à soi est plutôt le résultat d’un contexte interactif. » (p. 32).
Chapitre III : Thèmes de la pensée postmétaphysique
Pour caractériser la pensée métaphysique, pour simplifier grossièrement, écrit Habermas : « la pensée d’un idéalisme qui remonte à Platon et se prolonge jusqu’à Kant (…) et Hegel », il s’intéresse à trois aspects : « le thème de l’unité qui caractérise la pensée de l’origine (la pensée de l’identité), l’identification entre être et pensée (la doctrine des Idées) et la signification propre à une conduite de vie vouée à la théorie (un concept fort de théorie). » (p. 37).
« J’ai caractérisé la pensée métaphysique, telle qu’elle est restée en vigueur jusqu’à Hegel, par la transformation, allant dans le sens d’une philosophie de la conscience, qui affecte la pensée de l’identité, la doctrine des Idées et le concept fort de théorie. »
« Dans tradition de l’université allemande, jusqu’à Husserl, l’attitude méthodologique destinée à prémunir l’homme de science contre les préjugés d’origine locale, est sublimée en un primat, justifié de façon interne, de la théorie sur la pratique » (…) « mépris du matérialisme et du pragmatisme (…) une théorie qui non seulement s’élève au-dessus de la réalité empirique et des sciences particulières, mais qui est « pure » au sens d’une élimination cathartique de toutes les traces rappelant le contexte de leur genèse terrestre. » (p. 41).
A l’idée d’ « une totalité en soi rationnelle, celle du monde lui-même ou celle d’une subjectivité le concevant (qui) assure à chacun de ses membres (…) la participation à la raison », se substitue une rationalité procédurale. (…) Ce qui est considéré comme rationnel, ce n’est plus l’ordre des choses (…) mais la solution d’un problème que nous réussissons à trouver grâce à la procédure conforme par laquelle nous abordons la réalité. »
Il s’agit de faire éclater le concept classique de sujet transcendantal avec « le passage à un nouveau paradigme, celui de l’entente. Les sujets capables de parler et d’agir qui s’entendent sur quelque chose, devant l’arrière-plan d’un monde vécu commun, ont vis à vis du médium de leur langage un comportement à la fois d’autonomie et de dépendance. (…) D’un côté les sujets se trouvent toujours déjà dans un monde structuré et ouvert par le langage, et se nourrissent des ensembles cohérents de sens qui sont anticipés par la grammaire (= la structure syntaxique, lexicale et sémantique de la langue - PH). En ce sens le langage s’impose aux sujets parlants comme une réalité préalable et objective, en tant que structure formatrice de conditions de possibilité.
« Les théories de Freud, de Piaget et de Saussure ont proposé des catégories « tierces » permettant de neutraliser le dualisme des concepts fondamentaux propres à la philosophie de la conscience. A travers les catégories du corps capable d’expression, du comportement, de l’action et du langage, il est possible d’introduire des rapports au monde dans lesquels l’organisme socialisé du sujet capable d’agir et de parler est déjà intégré avant même que ce sujet se réfère de façon objectivante à quelque chose qui existe dans le monde. » (p. 53-54).
« L’analyse sémantique reste pour l’essentiel une analyse des formes de proposition, (…) elle fait abstraction de la situation de parole, de l’utilisation du langage et de ses contextes, des prétentions émises, des rôles dialogiques et des prises de position des locuteurs, en un mot de la pragmatique du langage (…). Un acte de langage donne lui-même à entendre à son auditeur en quoi consiste l’intention du locuteur.
« Une philosophie (…) dont le regard n’est plus fixé sur le système des sciences et qui adopte un point de vue opposé pour se retourner vers cette forêt épaisse qu’est le monde vécu, se libère du logocentrisme. Elle découvre une raison qui opère déjà dans la pratique même de la communication quotidienne. Certes, les prétentions à la vérité propositionnelle, à la justesse normative et à la sincérité subjective s’entrecroisent ici à l’intérieur d’un horizon du monde, à la fois concret et dont les voies d’accès ont été ouvertes par le langage ; mais en tant que prétentions critiquables, elles transcendent en même temps les contextes dans lesquels elles sont à chaque fois formulées et affirmées.
(à suivre...)
Voir sur wikipedia les idées principales et la bibliographie de cet auteur :
http://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%BCrgen_Habermas
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