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Bernard Noël


Un extrait de son texte "À bas l'utile"

Après avoir évoqué la société médiatique (le nouveau nom de la société du spectacle), il écrit :

Le meilleur moyen d’entretenir la disponibilité du cerveau est de lui donner à consommer des produits qui ont l’air de relever, sinon de la connaissance, au moins du savoir. Et l’apparence du savoir est facile à fabriquer sous la forme de l’information car tout est prétexte à informer : la politique, le sport, les voyages, la science, l’histoire, l’industrie, la société… De plus, aussi manipulée soit-elle, l’information donne toujours l’impression d’être objective car elle semble appartenir au domaine public, autrement dit à tous.
L’information est ainsi le modèle parfait de ces produits immatériels dont la consommation à grande échelle est destinée à devenir la culture tout en constituant de superbes rentes pour leurs producteurs. L’intérêt de ces derniers exige que le statut de tous les immatériels soit égalisé sur le modèle le plus courant, donc sur celui de l’information.
(...)
Vouloir que les œuvres considérées par la tradition comme « œuvres de l’esprit » circulent comme de l’information est une entreprise de faussaire mais témoigne plus gravement de la volonté de détruire leur nature. Je n’aime pas le mot « esprit » pour la raison qu’il a trop servi à nier le corps ; je n’aime évidemment pas davantage le mot « spirituel » mais le mot « immatériel » parasite si dangereusement sa place que mieux vaut en revenir à lui. Peut-être n’est-il pas inopportun de signaler à ce propos que le mot « spéculation » a bien plus longtemps désigné une activité de l’esprit que de la finance : triste fin !
L’immatériel est l’envers du spirituel comme l’information est l’envers de l’œuvre de l’esprit : leur utilité les épuise alors que l’inutilité des œuvres sans cesse en recharge le sens. On peut résumer ce phénomène en disant que l’information s’efface dans sa compréhension alors que l’œuvre ne se contente jamais d’être comprise parce qu’elle exige sa re-création. Et la re-création est, bien entendu, le contraire de la consommation, qui exige quant à elle l’épuisement constant de ses produits. L’idée même de consommation culturelle est donc une aberration car tout ce qui est essentiel dans la culture est inépuisable.


Le texte intégral sur le site : http://www.publie.net

En savoir plus sur Bernard Noël :
http://www.cipmarseille.com/auteur_fiche.php?id=152


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