Emmanuel Hocquard : le livre, la phrase, la pensée

 

L’expérience en question concerne penser et écrire à plusieurs. Ca va contre toutes les habitudes. Et [...] ça remet en question, pour une bonne part au moins, un des sacro-saints piliers de notre culture : le livre. Nous aurons donc à examiner de très près la notion de livre. Nous aborderons la question par le biais du format-livre. Qu’est-ce que ce «format» permet et (surtout) qu’est-ce qu’il interdit. Notre expérience portera sur quel format inventer pour parvenir à faire ce que le format-livre nous interdit de faire ? (p. 51-52)

La phrase est à sens unique (comme certaines rues). L’ordre des mots y est prédéterminé. Le temps y est réglé par la conjugaison et la concordance des temps. [...]

L’auteur de la phrase est extérieur à la phrase, même s’il peut s’y représenter (à l’aide des noms et des pronoms), de même que le peintre est extérieur à son tableau. Il se tient hors limites (ou hors champ).

La phrase n’est pas seulement cette façon d’organiser le langage, elle est une façon d’organiser la pensée, dans les frontières qu’elle impose. (p. 59).

 

Emmanuel Hocquard Le cours de Pise. P.O.L 2018

 

 

 

 

 

Chamoiseau Ecrire en « état poétique »

L’Ecrire en état poétique, ce n’est point partir de la langue mais partir du plus loin possible de la langue, pour ensuite revenir au plus profond (bouleversé) de la langue. Cela évite d’instituer la langue en fétiche ou en absolu. Cela permet de forcer la langue à accueillir l’entour, les autres langues, le vivant, le monde, l’inouï extensible du cosmos.

Patrick Chamoiseau Ecrire en « état poétique », dans Le conteur, la nuit et le panier, Seuil, 2021, 107.

 

Un nom n’est pas seulement un nom

Je suis en quête des formes. Et dans le catalogue des formes, toutes ne sont pas équivalentes ; certaines, je les fuis, et d’autres, je les recherche. Toutes, je les connais parfaitement.
Toutes ces formes ont un nom, et j’ai pour tâche de dresser la liste des noms, comme des invités. Or un nom n’est pas seulement un nom ; ni seulement cela qu’il désigne, ni seulement les lettres qui le composent. Il est ainsi déjà un au-delà du nom, il porte toujours plus que le nom seul. Un nom, un nom propre est toujours une communauté de noms. Il est à la fois un reste, une trace, un fantôme ; il annonce comme il résume ; il marie le possible à tous les morts, et la généalogie à l’étrangeté même ; enfin, témoin, il se doit d’être commun – sinon, comment l’entendre ? [...]
Ainsi en va-t-il de la littérature, qui joue dans les noms, et se joue d’eux, dans l’entrelacs des lettres, des mots et des œuvres… dans l’intrication des répétitions comme des monstres et des hapax.

Hughes Note de lecture : « La littérature inquiète » (Benoît Vincent) Charybde 27 : le Blog

https://charybde2.wordpress.com/2021/01/31/note-de-lecture-la-litterature-inquiete-benoit-vincent/