John Holloway : le temps de l’horloge est en crise

« La crise permanente du temps de l’horloge ne se limite pas au lieu de travail. Nos vies, nos passions, la façon dont nous sommes en relation avec nos amis, tout est lié au temps vivant, au temps du faire, à la lutte quotidienne, silencieuse pour parvenir à d’autres façons de vivre, à d’autres façons de faire et d’entrer en relation. »

John Holloway : Crack capitalism, 33 thèses contre le capital, Libertalia, 2016, p. 370

Fragmenter

« Fragmenter le monde n’est rien d’autre que retrouver des formes de vie par lesquelles être au monde c’est le façonner, faire un monde. Le monde où nous habitons. Inversons la formule : retrouver des formes de vie c’est fragmenter le monde de la totalité qui en dénie la possibilité dans la forme universelle du monde-marchandise. » (…)

« Singulariser les communautés des êtres du vivant que nous sommes, ce n’est rien d’autre que « pluraliser » le monde. Et le rendre ainsi ingouvernable. » (p. 37)

« Il y a toujours une inadaptation à l’ordre métropolitain et à l’intégration dans l’espace de l’économie. Il est alors possible d’explorer d’autres médiations qui reconstituent la vie de la communauté, des processus constitutifs d’une autonomie collective impropre aux comptes de la valorisation. Où ce qui compte n’est pas la mesure, mais la rencontre. » (p. 42)

« Réactiver de nouveaux agencements relationnels est une tâche bien plus exigeante que de nous ressaisir d’un sujet politique formel présupposant des identités. (p. 72)

Raffanell i Orra Fragmenter le monde, Ed. Divergences, 2017

 

 

 

Yoko Ono

C’est cela qui m’a intéressée dans ce travail d’écriture, la faille constante entre qui elle est (son travail) et la réception qui en est faite. Le décalage. L’accumulation des contraires : très célèbre et totalement inconnue. Très pacifique et haïe. Très people et très méditative. Très simple et très complexe à appréhender.
Et j’ai découvert, tout en écrivant, que ces contraires, qui la construisent et qui construisent l’idée que l’on peut se faire d’elle, ne la déstructurent pas. Elle accumule les contraires et fabrique quelque chose de plus grand qu’eux, quelque chose d’autre. Un grand autre, un autre qui est un plus, qui est la création elle-même.

 Christine Jeanney Making of YOKO ONO dans le texte

https://www.publie.net/autour-de-yoko-ono-dans-le-texte/#making-of-yoko-ono

 

 

 

Lucioles

Davantage que de définir, il s’agit de se réunir, de faire lien. DE SE SITUER LUCIOLE PARMI LES LUCIOLES DANS L’UNE DES CONSTELLATIONS QUI S’EFFORCE DE TRANSFORMER CE QUI L’ENTOURE, OBSTINEMENT. Car, si l’époque est sombre, nombreuses et nombreux sont ceux qui résistent, s’organisent, luttent, inventent et créent – en allumant autant de lueurs fugaces et d’étincelles de désir. (p. 8)

CE LIVRE : UNE MAIN TENDUE. Et aussi ce livre : une invitation à (se) reconfigurer. Car ce n’est peut-être pas en regardant ailleurs mais en bougeant sur place que nous pouvons faire émerger des possibles inaperçus, des alternatives dissimulées. Il s’agirait alors d’abord DE MODIFIER LES CONFIGURATIONS, DE RENOUVELER LA CONNECTIQUE DE NOS REPRESENTATIONS. (p. 13)

Myriam Suchet (2016). Indiscipline ! Ed. Nota Bene

 

 

rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé

Si la finalité dernière de l’anthropologie est, comme je l’ai dit, non pas documentaire, mais transformationnelle, il nous appartient de rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé. Que valent les transformations personnelles si elles s’achèvent avec nous, si nous mêmes ne poursuivons pas le processus de transformation réciproque des autres et du monde ? Enseigner, c’est honorer notre engagement en rendant au monde ce que nous lui devons pour nous avoir formés.

Tim Ingold : Faire.Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p. 48

la relation entre le concevoir et le faire

Les chasseurs rêvent souvent d’animaux avant de les croiser. Les artistes, architectes musiciens et écrivains sont eux aussi à l’affût de visions fugitives d’une imagination qu’ils s’efforcent de capturer pour pouvoir les mettre sur le métier et les travailler. Tout comme les chasseurs, eux aussi s’ingénient à capturer les rêves. Tous les efforts humains, semble-t-il, sont tendus entre la capture des rêves, d’une part, et le travail des matériaux, d’autre part. Dans cette tension entre l’attraction des espoirs et des rêves et le frein des contraintes physiques ( et non pas dans l’opposition entre réflexion savante et exécution mécanique) se noue la relation entre le concevoir (design) et le faire (making). C’est précisément au point où l’imagination se frotte aux aspérités de la matière, et où les forces de l’ambition doivent se mesurer à la dure réalité du monde, que l’existence humaine est vécue.

Tim Ingold : Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture, Ed. Dehors, 2017, p. 164-165

connaître est en soi-même un mouvement (T. Ingold)

A propos de son apprentissage lorsqu’il était un jeune anthropologue, Ingold écrit :

« La seule manière de véritablement apprendre quelque chose – en l’apprenant de l’intérieur – est de l’apprendre en le découvrant par soi-même. (…)

La simple possession d’une information ne suffit pas à l’élaboration d’une connaissance, et garantit encore moins que celui à qui on les transmet comprendra de quoi il retourne. Les choses sont toujours plus faciles à dire qu’à faire (…)

Comment en vient-on à apprendre ? Pour faire court, je dirais que c’est en regardant, en écoutant, en sentant, en faisant attention à ce que le monde a à nous dire. Mes compagnons ne m’ont rien dit sur ce qu’il y avait à voir, à entendre, etc., ils n’ont rien fait pour m’épargner la peine d’avoir à apprendre par moi-même. Ils m’ont bien plutôt montré comment je pourrais le découvrir. Ils m’ont appris ce qu’il fallait chercher et comment pister les choses ; ils m’ont appris que tout acte de connaissance est un processus d’accompagnement actif qui consiste à se mettre en chemin avec ce que l’on cherche à connaître. Ces personnes avaient toujours vécu de la pêche, de la chasse et de l’élevage de rennes. C’était pour elles une seconde nature de penser que nul ne connait qu’en cheminant avec ce qui doit être connu et que le mouvement n’est pas seulement un moyen pour accéder à la connaissance, mais que connaître est en soi-même un mouvement. (…)

Aujourd’hui, avec le recul, je mesure tout ce que ma réflexion et mes choix théoriques en faveur de telle philosophie plutôt que telle autre doivent à cette façon de voir. »

Tim Ingold : Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p.19-20

 

Le terrain, apprendre des gens

Lorsque nous sommes sur le terrain, lorsque nous passons un certain temps parmi les gens, en pratiquant ce qu’on a l’habitude d’appeler l’observation participante (bienq ue nous, nous l’appelions plutôt « ethnographie »), nous apprenons des gens parmi lesquels nous vivons. Ce qui est en oeuvre en nous est un processus d’apprentissage, et celui-ci nous transforme : il change la façon dont nous percevons et pensons le monde – même si parfois nous ne nous en rendons compte que bien plus tard.

 

Tim Ingold, dans P. Descola et T. Ingold, Etre au monde. Quelle expérience commune ? Presses de l’Université de Lyon, 2014, p.34