institutions (Nicolas Guerrier)

Nous nous croyions poussière d’étoiles mais nous nous révélons débris institutionnels. Nous nous croyions ontologiquement singuliers, nous nous découvrons socialement imprégnés. Nous avons grandi dans un bain de sens que nos insurrections auront du mal à destituer. Et le jour d’après l’insurrection ne sera qu’un florilège d’institutions.

L’institution est considérée comme ce qu’il y a de plus rebutant pour nous. Elle représente tout le contraire du mouvement. Elle s’oppose systématiquement aux flux que nous voulons libérer, et symbolise trop bien ceux que nous voulons bloquer. Mais peut-être que nous en faisons une fausse idée. L’institution est un phénomène bien plus vaste que l’Etat, l’Assemblée Nationale, l’école ou l’hôpital. Elle déborde largement l’organisation agonisante enfermée entre quatre murs physiques. Elle est nos murs intérieurs, nos groupes, nos organismes, nos croyances, nos errances et nos régimes. Nous sommes contre la loi, alors nous en écrivons des tas sans jamais le dire.

Nicolas Guerrier, Sous les tentatives de communismes immédiats, Agencements, n° 2, 2018, p. 12

 

Donna Haraway : savoirs situés

Les « yeux » que rendent accessibles des sciences technologiques modernes ruinent toute idée d’une vision passive ; ces prothèses nous montrent que tous les yeux, y compris nos propres yeux organiques, sont des systèmes de perception actifs, intégrés dans des traductions et des manières particulières de voir, c’est à dire des manières de vivre. Il n’y a pas de photographie non médiatisée ou de chambre noire passive dans les descriptions scientifiques des corps et des machines ; il n’y a que des possibilités visuelles extrêmement spécifiées, chacune avec sa manière merveilleusement détaillées, active, partielle, d’organiser des mondes. (…) Comprendre comment ces systèmes visuels fonctionnent, techniquement, socialement et psychiquement devrait pouvoir ouvrir à une objectivité féministe encorporée.

D. Haraway Savoirs situés, dans Manifeste cyborg et autres essais, Paris : Exils éditeur, 2007 (p. 116).

des opinions ou des idées (Vézina)

« La question me trotte en tête de manière cyclique ; vient toujours un moment où je me dis -soit en lisant ou en entendant quelqu’un émettre une opinion, soit en me questionnant moi-même sur la validité d’une des miennes – qu’il aurait fallu mieux réfléchir, qu’il ne suffit pas de dire ce qu’on pense… mais qu’il faut peut-être mieux penser ce qu’on dit.

Tout le monde peut avoir une opinion. Celle-ci peut s’organiser autour d’une simple sensation, d’une émotion, d’une impression extrêmement superficielle ; un goût, par exemple, ou la simple base d’un banal stéréotype, en surface et sans fondement réel.

L’idée, quant à elle, doit naître d’une réflexion, d’une recherche, d’un certain savoir référencé, hors du ressenti. »

Michel Vézina, Partir pour Croatan, Ed. du Commun (p. 155-156).

 

 

 

John Holloway : le temps de l’horloge est en crise

« La crise permanente du temps de l’horloge ne se limite pas au lieu de travail. Nos vies, nos passions, la façon dont nous sommes en relation avec nos amis, tout est lié au temps vivant, au temps du faire, à la lutte quotidienne, silencieuse pour parvenir à d’autres façons de vivre, à d’autres façons de faire et d’entrer en relation. »

John Holloway : Crack capitalism, 33 thèses contre le capital, Libertalia, 2016, p. 370

Fragmenter

« Fragmenter le monde n’est rien d’autre que retrouver des formes de vie par lesquelles être au monde c’est le façonner, faire un monde. Le monde où nous habitons. Inversons la formule : retrouver des formes de vie c’est fragmenter le monde de la totalité qui en dénie la possibilité dans la forme universelle du monde-marchandise. » (…)

« Singulariser les communautés des êtres du vivant que nous sommes, ce n’est rien d’autre que « pluraliser » le monde. Et le rendre ainsi ingouvernable. » (p. 37)

« Il y a toujours une inadaptation à l’ordre métropolitain et à l’intégration dans l’espace de l’économie. Il est alors possible d’explorer d’autres médiations qui reconstituent la vie de la communauté, des processus constitutifs d’une autonomie collective impropre aux comptes de la valorisation. Où ce qui compte n’est pas la mesure, mais la rencontre. » (p. 42)

« Réactiver de nouveaux agencements relationnels est une tâche bien plus exigeante que de nous ressaisir d’un sujet politique formel présupposant des identités. (p. 72)

Raffanell i Orra Fragmenter le monde, Ed. Divergences, 2017

 

 

 

Yoko Ono

C’est cela qui m’a intéressée dans ce travail d’écriture, la faille constante entre qui elle est (son travail) et la réception qui en est faite. Le décalage. L’accumulation des contraires : très célèbre et totalement inconnue. Très pacifique et haïe. Très people et très méditative. Très simple et très complexe à appréhender.
Et j’ai découvert, tout en écrivant, que ces contraires, qui la construisent et qui construisent l’idée que l’on peut se faire d’elle, ne la déstructurent pas. Elle accumule les contraires et fabrique quelque chose de plus grand qu’eux, quelque chose d’autre. Un grand autre, un autre qui est un plus, qui est la création elle-même.

 Christine Jeanney Making of YOKO ONO dans le texte

https://www.publie.net/autour-de-yoko-ono-dans-le-texte/#making-of-yoko-ono

 

 

 

Lucioles

Davantage que de définir, il s’agit de se réunir, de faire lien. DE SE SITUER LUCIOLE PARMI LES LUCIOLES DANS L’UNE DES CONSTELLATIONS QUI S’EFFORCE DE TRANSFORMER CE QUI L’ENTOURE, OBSTINEMENT. Car, si l’époque est sombre, nombreuses et nombreux sont ceux qui résistent, s’organisent, luttent, inventent et créent – en allumant autant de lueurs fugaces et d’étincelles de désir. (p. 8)

CE LIVRE : UNE MAIN TENDUE. Et aussi ce livre : une invitation à (se) reconfigurer. Car ce n’est peut-être pas en regardant ailleurs mais en bougeant sur place que nous pouvons faire émerger des possibles inaperçus, des alternatives dissimulées. Il s’agirait alors d’abord DE MODIFIER LES CONFIGURATIONS, DE RENOUVELER LA CONNECTIQUE DE NOS REPRESENTATIONS. (p. 13)

Myriam Suchet (2016). Indiscipline ! Ed. Nota Bene

 

 

rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé

Si la finalité dernière de l’anthropologie est, comme je l’ai dit, non pas documentaire, mais transformationnelle, il nous appartient de rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé. Que valent les transformations personnelles si elles s’achèvent avec nous, si nous mêmes ne poursuivons pas le processus de transformation réciproque des autres et du monde ? Enseigner, c’est honorer notre engagement en rendant au monde ce que nous lui devons pour nous avoir formés.

Tim Ingold : Faire.Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p. 48