le sujet produit par la parole (Tosquelles)

« Il y a tant de gens qui s’entêtent à vouloir être « un tout » et tout avaler tout de suite. Et quand ils voient eux-mêmes qu’un tel projet est indéfendable, alors ils pensent qu’il vaut mieux n’être rien du tout. Tôt ou tard ils pensent d’eux-mêmes qu’ils ne sont rien ou que les autres les traitent comme s’ils n’étaient « rien » : une chose vide, ni plus ni moins qu’un objet, et jamais un sujet, toujours produit, comme nous le disions, par la parole et non par magie ni par culture. Un sujet précisément d’où émergent les questions auxquelles répond le moi en choisissant d’être de telle ou telle bande, de tel ou tel lieu. Nous disions donc que le sujet naît de là-même où la parole s’échappe par des clivages, des chutes et des lézardes et lui fait un nid ».

Tosquelles F. Fonction poétique et psychothérapie. Erès 2003, p. 22.

Ferrarotti sur la méthode biographique et la co-construction du savoir

La méthode biographique c’est autre chose qui est beaucoup plus déstabilisant, parce qu’elle amène le chercheur à reconnaître qu’il ne sait pas, qu’il ne peut commencer à savoir qu’avec les autres – avec les gens – qu’avec le savoir des gens, et en particulier avec le savoir que ses interlocuteurs construisent avec lui dans des prises de parole, dans des conversations, dans des récits.

Franco Ferrarotti

Partager les savoirs, socialiser les pouvoirs, un entretien avec Christine Delory-Momberger, Revue Le sujet dans la cité , n° 4, 2013

La Borde « un refuge de désespérés énergiques »

« Il faut savoir que nous étions quelques uns à être arrivés à La Borde et à être des gens que la vie désespérait. C’est comme ça que nous nous étions retrouvés là. Ce n’était pas une rencontre d’intellectuels, d’universitaires, de savants, de philosophes, c’était un refuge de désespérés énergiques. Et un rassemblement de gens dont certains avaient une vitalité et une force créatrice extraordinaire, et qui, dans des conditions sociales habituelles, n’avaient de place nulle part. Nous vouloins réinventer la vie, maintenir le fait que ce soit vivant, ce n’était pas une discipline, mais une exigence. »

Agnès Bertomeu, MÉTAMORHOSES ou la « Grille des ateliers » à La Borde, Le sujet dans la cité, n° 4, p. 153.

Revue le sujet dans la cité, n°4, novembre 2013

« Partager les savoirs, construire la démocratie » est le thème du numéro 4 (2013) de cette revue internationale de recherche biographique, avec un très riche contenu, notamment un entretretien avec Franco Ferrarotti, sociologue italien, fondateur de la revue « La critica sociologica » et un témoignage d’Agnès Bertomeu sur la clinique de La Borde.

Sur l’éducation populaire et la culture populaire : une critique radicale

La fin du texte signé Vivien sur le site  du LISRA :

http://recherche-action.fr/labo-social/2014/08/10/des-mesures-techniques-disolation-aux-strategies-politiques-du-contact-plaidoyer-pour-une-auto-graphie-sociale/

« Si toutes les initiatives qui ont prétendu restituer à un quelconque « Peuple » les outils et les clés de son autonomie n’ont finalement réussi qu’à s’user et à pourrir lentement ou bien à devenir des entreprises complètement opposées dans leurs actes à leurs principes initiaux, sans jamais toucher du doigt la substance réelle de la mission salvatrice dont elles s’étaient alors vaniteusement chargées, c’est que, dans cet acte même de « restitution », dans la prétention à offrir, à fournir, à administrer, elles transportaient d’emblée avec elles les relents d’un mépris masqué et l’indisposition formelle d’apprécier à sa juste valeur l’intelligence, pure et simple, de tous ces gens.
Des élans les plus sincères de l’Éducation populaire aux grossiers fétiches de la « Démocratie culturelle » éparpillés dans nos supermarchés et nos salles de classes, il n’y a guère qu’une docte ignorance qui s’est démocratisée, une disposition à déglutir sans jamais rien assimiler du contenu lourd et indigeste qu’on se voit servir sans interruption par une main maternaliste et providentielle.
La « culture populaire », concept-jouet d’un savoir édicté par des institutions dominantes et arme ultime d’une bourgeoisie facilement émue par les fables qu’elle se chuchote à elle-même, n’a jamais été la propriété de ceux qui en sont les détenteurs supposés. Cette culture de romans s’impose comme le prétexte et la justification d’une ascendance éternelle des faiseurs de rêve sur les esprits rêveurs. Et son substrat artificiel ne retombe jamais dans nos gueules asséchées que sous l’état d’une pluie de poussière insipide et informe, comme les restes d’un vieux fruit écrasé par une main trop puissante.

Nous ne sommes les propriétaires que de nos propres mots. Sans un langage qui soit le nôtre, nous sommes condamnés à être parlés par d’autres.

régimes discursifs et actes de reconnaissance

« Ce que j’essaie de faire, c’est de trouver une manière de mettre en crise le langage de l’ontologie, et de bien faire comprendre qu’attribuer à quelqu’un le statut de citoyen, attribuer à quelqu’un le statut d’être genré équivaut à une attribution ontologique qui dérive de cet acte institutionnalisé de reconnaissance…

En fait je n’ai pas envie que les gens soient quoique ce soit (…). Mais je crois qu’une fois que nous reconnaissons, pour ainsi dire, que ce statut ontologique est produit, désavoué, suspendu par différents types de régimes discursifs institutionnalisés, la question est de savoir comment nous mobilisons ces régimes, et dans quel but« .

Judith Butler, Humain inhumain. Le travail critique des normes. Amsterdam, 2005, p. 51.

 

Exégèse ou interprétation : deux postures de chercheurs

« Depuis les études, désormais nombreuses, sur le fonctionnement de la mémoire collective, nous savons à quel point le remaniement du passé est consubstantiel à la constitution du présent. C’est toute la différence entre exégèse et interprétation : l’exégète contribue à la pérennisation d’une croyance, l’interprète, dans la mesure où il prend ses distances par rapport au message à décoder, participe à sa dissolution. (…) En fait, privilégier l’exégèse – choix tout à fait légitime – revient à adopter un regard « phénoménologique ». L’objectif, dans ce cas, est de restituer le monde tel qu’il est vécu par les acteurs. (…)

Les niveaux de vérité sont pluriels. Il y a une vérité des acteurs (il y en a plusieurs, d’ailleurs), que le phénoménologue traque et restitue fidèlement. Et il y a une vérité d’une autre nature : une vérité « inconsciente », peut-être, qui demande un travail comparable, en quelque sorte, à celui du psychanalyste. Pour des raisons à la fois scientifiques et peut-être biographiques, ce deuxième niveau d’analyse intéresse les chercheurs se réclamant d’une approche dite « critique ».

S. Dalla Bernardina. Les confessions d’un traître. Du caractère indécent de l’enquête ethnographique et de la manière de s’en sortir. in : »Chercher. S’engager », revue Communications, n° 94, 2014, p. 102.

l’engagement du chercheur (selon Alain Bertho)

« La gestion moderne des territoires, même avec les meilleures intentions,  tend à faire des habitants des variables d’ajustement et non la finalité même des décisions.  L’enjeu est bien la place, la parole et la place de la parole de ces habitants, si souvent invoquées et si rarement prises en compte.

L’engagement du chercheur sur ce terrain est exigeant, car il interdit de parler à leur place, quelles que soient les circonstances. Il n’autorise pas une position tierce à égale distance des gens et des pouvoirs. Et il commande de continuer à définir une position propre du chercheur, de sa méthode, des finalités et de l’éthique de sa recherche. Une nouvelle éthique de la responsabilité s’installe au cœur de nos pratiques, comme condition de vérité. »

BERTHO Alain. Les mots et les pouvoirs. In « Chercher. S’engager », revue Communications (Seuil). N° 94, 2014, p. 22.

Ce qui nous touche…

« Ce qui nous touche » un très beau texte écrit à quatre mains par Isabelle Pariente-Butterlin et Valeto Garry sur le site d’Isabelle :

http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article1946#forum5740

et aussi sur celui de Valeto Garry, Philosophical slug … ici à peine quelques traces :

« Ce qui nous touche J’ai connu un garçon ou peut-être était-ce une fille c’était quelqu’un quoi qu’il en soit je me souviens nos corps en miroir je me souviens les pas qui résonnent sur le bois des vacances je me souviens les mains qui se cherchent presque les mots qui s’écoutent je me souviens. (…)

J’ai connu quelqu’un quelle importance fille ou garçon qui cherchait l’âme au fond des corps.

Ce qui nous touche ? Repli. De moi repli, origami. Ce qui nous touche, approche, s’approche, ce qui nous touche ?, de moi origami, réponse négative, ce qui me touche me replie, je ne veux pas être dans la proximité, telle, je ne veux pas être : touché. (…)

Ce qui nous touche ? Attends. Laisse-moi un peu de temps pour revenir au monde. Laisse-moi revenir de la nuit intérieure, de l’hiver. Ce qui me touche me blesse….

 

 

 

 

Deux idées étrangement proches : l’individu et le paysage

« Aujourd’hui où l’échelle imposée devient mondiale, la vertu du paysage, face à cette ubiquité abstraite, est de relocaliser : non pas en repliant illusoirement dans un particularisme compensateur et pittoresque, mais en réinscrivant du Singulier. Si ce qui fait paysage est qu’il contient le tout du monde, mais sur un mode unique, ce local lui-même est global, en ne cessant de mettre en interaction et de faire communiquer. Et peu importe que le paysage soit fait alors de rues ou bien de vallons, de cités ou de forêts… »

François Jullien : Vivre de paysage ou l’impensé de la raison. Gallimard. 2014, p. 248

Je découvre ce passage alors que je viens d’écrire, en commentant Edgar Morin (2001) : « selon lui, l’humain se définit par trois notions complémentaires et inséparables, alors même qu’elles paraissent s’opposer : l’individu, la société et l’espèce humaine. Leur relation est « dialogique », en ce sens qu’elles se répondent : l’espèce est faite de tous les individus, mais, dans chaque individu, il y a tout ce qui fait l’espèce humaine…  » En ligne : http://www.translaboration.fr/wakka.php?wiki=TransformatioN

Je suis frappé de voir à quel point ces deux idées se répondent : « ce qui fait paysage est qu’il contient le tout du monde, mais sur un mode unique » ; ce qui fait un individu, un être humain, est qu’il contient tout ce qui fait l’humanité, mais sur un mode unique.