Ce mot : humanité

J’ai l’impression qu’on ne cesse de comprendre et de prendre la mesure de la signification de ce mot : humanité.

7 mars 10:43, par Isabelle Pariente-Butterlin
http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2123#forum5944
Et aussi :

il suffit de lever nos regards vers les vagues immémoriales, de revenir aux vagues immémoriales, de revenir à elles pour revenir à soi, et de suivre le vent et les rafales de lui sur le bleu ulysséen de la mer. Le bleu turquoise, le bleu intense, le bleu ulysséen, le bleu immémorial, le bleu pur de tout renoncement à l’exigence duquel nous tenir. Obstinément. Jusqu’à l’extension rêvée, impression rêvée, au-delà des limites-mêmes du monde, extension rêvée, redevenue possible, suivre les rafales de vent nous traversant de la présence du monde et du bonheur pur d’être.N’est-ce pas à cela qu’il faut nous tenir obstinément, résolument, bonheur pur d’être, nous, êtres imparfaits et défaillants dans un monde bouleversé, mais tout de même et quoi qu’il en soit, néanmoins dans ce monde, sans que ce monde ne puisse nous ôter cela : bonheur pur d’être et de vivre.Puissions-nous nous retenir de nos mains aimantes à tout ce qui nous en assure.

Isabelle Pariente-Butterlin

Recomposition en cours Fragments 20

http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2125

écrire

« Ecrire, c’est un mode de pensée à l’œuvre qui transforme en profondeur celui qui écrit, un mode de pensée qui humanise. Ecrire, c’est par l’imaginaire décaler son regard, c’est mettre en mots le monde, c’est se rendre lucide sur les maux du monde et ses propres maux. C’est apprendre à différer, à apprivoiser l’autre, à surseoir à ses pulsions… Ecrire, c’est se construire en tant que sujet qui pense. »

Yves Béal

http://www.questionsdeclasses.org/?Ecrire-Ecrire-ensemble-pour-vivre

champ d’intervention et champ d’analyse (Lourau)

« Dans la socianalyse, la pertinence de la distinction entre champ d’intervention et champ d’analyse a été maintes fois testée : elle demeure essentielle, même si bien du travail attende la socianalyse quand il s’agit de traiter les interférences entre les deux champs. (…) Le champ d’intervention comprend tout l’espace-temps disponible aux intervenants en fonction de la commande initiale et des modifications en extension éventuellement produites par l’analyse de la commande et des demandes dans le cours même de l’intervention ; il comprend donc implicitement toute la population directement ou indirectement concernée par la commande. Les frontières de l’espace-temps et de la population sont métastables. Les repères du champ sont pris dans la dynamique qu’ils instaurent. Nous sommes dans le local et ce local (…) subit l’indétermination de la situation, du dispositif que l’on essaie de mettre en place, de l’analyse collective plus ou moins poussée des implications de chacun et tout d’abord des intervenants eux-mêmes. (…)

Le champ d’analyse est le système de référence théorique en tant qu’il se veut opératoire dans une situation de recherche-action qui est avant tout une situation sociale. Dans cette situation, la distanciation n’est pas une posture idéale s’appuyant sur des techniques lentes de consolidation et de vérification des données, mais réside dans l’analyse des implications qui s’actualisent collectivement.(…) Ce qui se dit, ce qui se fait dans la « cuisine » de l’intervention n’est réductible ni à un dialogue entre partenaires, ni à l’application d’une théorie du social à une réalité micro-sociale. Les concepts de commande, de demandes, d’implication, de dispositif, d’autogestion, d’assemblée générale, d’analyseur, de dérangement, de restitution, de transversalité,etc. fonctionnent dans le champ d’analyse comme des repères clignotants.(…) »

(Lourau utilise ensuite la métaphore du store vénitien). « On peut avancer l’hypothèse que dans une situation d’intervention ce qui se passe concrètement entre intervenants et clients est ce qui ouvre, ferme, modifie l’angle d’ouverture des lames du store « champ d’analyse ». Ou, en utilisant l’approche pragmatiste de Dewey, on dira que les implications logiques ou formelles (d’un champ d’analyse) sont secondes par rapport aux implications matérielles ou existentielles. »

René Lourau. Deuxième variation, in Implication/Transduction, Anthropos, (p. 9-11)

 

La parole et le don (B. Maris)

« L’homme est un animal communiquant. Il parle, écoute, répond. La plupart de ses activités sont des activités de réciprocité et d’échange gratuites. L’amitié, l’amour, la séduction ne sont pas guidés, en générale, par des motifs monétaires. (…) L’homme est surtout un animal social. Pris dans les filets du langage, il est d’abord un animal parlant. Le langage, cette construction collective, relève du don/contre-don : je donne, mais j’ai l’obligation de recevoir et, ayant reçu, j’ai l’obligation de rendre. On ne parle pas à un mur. Donner, recevoir, rendre tissaient un réseau de liens dans les anciennes sociétés. Ces liens existent évidemment encore aujourd’hui. Nombre de rapports amicaux ou professionnels sont fondés sur le donner-recevoir-rendre. Ils sont probablement infiniment plus nombreux, subtils et porteurs de valeurs morales que les rapports marchands… »

Bernard Maris, Antimanuel d’économie. 2. Les cigales. Bréal, 2006, p. 144.

Des lignes et des tissages

« Une brève histoire des lignes, ouvrage (de Tim Ingold) (2007) salué par de nombreux prix et dont la traduction française assurée par Sophie Renaud vient de paraître chez Zones sensibles, repose sur une idée apparemment bizarre, fortement dépaysante mais proprement révolutionnaire : nous avons l’habitude de penser que nous occupons des « places » dans un « espace », que nous sommes entourés d’« objets » et que les connaissances « utiles » sont celles qui nous permettent de prendre l’altitude du « surplomb ». Tout cela, qui nous a été inculqué par la modernisation de nos formes de vie collectives, nous a toutefois fait perdre de vue ce dont se trament concrètement nos existences. Pour mieux habiter notre monde, il faut apprendre à redevenir des « itinérants » (wayfarers) et à percevoir notre monde comme constitué de lignes.

Un monde de lignes

Un monde de lignes se compose d’au moins cinq types d’entités. Les traces sont « des marques durables laissées dans ou sur une surface solide par un mouvement continu ». Il y a des traces additives (écrire à l’encre sur du papier), des traces soustractives (graver son nom au couteau dans un tronc d’arbre), des traces laissées par un passage continu (sur un chemin), par un pliage unique (sur du papier) ou récurrent (les lignes de la main). On parlera de fil pour désigner « un filament d’un certain type, qui peut être entrelacé avec d’autres fils ou suspendu entre des points dans un espace à trois dimensions » ; contrairement aux traces, les fils « ne s’inscrivent pas sur des surfaces » .

La nature est pleine de fils (branches, racines, rhizomes, mycéliums, nerfs) ; le monde humain aussi (cordes, câbles, circuits intégrés, mais aussi veines, nerfs, pilosité). Ces lignes peuvent revenir sur elles-mêmes pour former des nœuds (nœuds routiers, nœuds de cordes des marins, nœuds des brodeurs). Plusieurs fils peuvent s’intriquer pour former des maillages (meshworks), formant les tissus dont sont constitués les organes de notre corps, les paniers en osier ou les vêtements que nous portons.

Ces textures sont un lieu de passage réciproque entre le monde des traces et celui des fils : en effet, une surface, nécessaire au marquage (soustractif ou additif) d’une trace, n’est souvent elle-même qu’une texture composée par l’intrication de multiples fils. Les surfaces tendent à se dissoudre lorsqu’on les appréhende comme tissées de fils ; à l’inverse, leur réalité de maillage s’efface lorsqu’on les traite comme des surfaces. »

Yves Citton & Saskia Walentowitz  Pour une écologie des lignes et des tissages, Revue des Livres, n° 4, mars 2012, p. 28-39.

Silence, douleur, résistance

« Réduit.es au silence. Nous craignons celles/ceux qui parlent de nous sans nous parler et sans parler avec nous. Nous savons ce que c’est qu’être réduit.es au silence. Nous savons aussi que ces forces qui nous réduisent au silence parce qu’elles ne veulent jamais que nous parlions  diffèrent des forces qui nous disent : parle, raconte moi ton histoire. Seulement ne parle pas depuis la voix de la résistance. Parle seulement depuis cet espace dans les marges qui est le signe de la privation, de la blessure, et du désir inassouvi. Dis seulement ta douleur »

 bell hooks, « Marginality as site of resistance », In Fergusen, Russel (dir.), Out There : Marginalization And Contemporary Culture, Boston, MIT Press, 1992, p. 341-343.

« Silenced. We fear those who speak about us who do not speak to us and with us. We know what it is like to be silenced. We know that the forces that silence us because they never want us to speak differ from the forces that say speak, tell me your story. Only do not speak in the voice of resistance. Only speak from that space in the margin that is a sign of deprivation, a wound, and unfulfilled longing. Only speak your pain ».

l’individuel et le collectif

« Nous déplaçons les lignes peu à peu à la recherche de ce que nous espérons, mais pour cela il est nécessaire que le collectif ne nous bloque pas.

Je ne pose pas ici la question du meilleur sous une perspective individuelle, mais sous une perspective collective et politique, dont il est impossible de faire l’économie. Ou si on veut, je la pose sous une perspective individuelle dans ce par quoi l’individuel ne peut pas complètement s’abstraire du collectif, ne peut pas entièrement lui échapper, dans ce par quoi, l’individuel, en tant qu’il est un fragment du collectif, en porte aussi les caractéristiques, ne peut pas lui échapper complètement, ne peut pas s’en abstraire hermétiquement.

Sinon sans doute la solution serait-elle de s’abstraire hermétiquement du collectif, mais c’est impossible. On ne peut qu’écarter cette hypothèse : le collectif ne cesse de nous revenir au visage et de nous reprendre comme une vague. Je ne vois pas comment nous sortirions indemnes d’un jeu collectif.

(…)

Or nous, donc, plongés dans le collectif et tentant de dessiner l’individuel que nous sommes, que nous cherchons à être, nous heurtant sans cesse à l’énigme double : chercher à être ce que nous sommes, sans le savoir, car ce qui nous guide ne nous est pas donné, mais demande à être construit ; tenter de le concilier avec un devenir collectif dont nous ne savons pas à quel point, dans quelle mesure, il influe sur nous, nous désoriente, nous impose des repères qui ne sont pas les nôtres.

Je crois que le problème est là, dans une articulation du singulier que nous cherchons à être, sans savoir quel il est, avec un collectif dont nous ne savons pas à quel point exactement il nous détermine. Mais d’avoir identifié le problème nous en donne-t-il la solution ?

Isabelle Pariente-Butterlin  Constat 12 (sans résolution)

http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2095
1ère mise en ligne et dernière modification le 31 décembre 2014.

Exister par la parole

« Dès lors que nos ancêtres ont vécu dans un milieu où l’on parlait, il est devenu désirable pour chaque individu de prendre place parmi les autres en parlant lui aussi. Comme l’a bien vu Jean-Louis Dessalles, le profit qu’il y a à parler ne s’explique pas seulement en termes utilitaires : il s’agit, en se liant aux autres et en suscitant leur intérêt, de s’intégrer à un cercle existant, d’en former un ou de renforcer son prestige. L’information, en justifiant que l’on dise son mot, et que l’on se montre pertinent, est souvent moins un but qu’un prétexte : en réalité, on désire se faire reconnaître, s’affilier, entretenir un contact. Bref, exister. »

François Flahault, Où est passé le bien commun ? Mille et une nuits, 2011, p. 98.

être et langage

« l’être humain ne saurait accéder à lui-même que dans un monde commun, un ensemble de biens collectifs : langage, représentations, institutions, organisation de l’espace et du temps, manières de faire et d’être, bref une culture, laquelle constitue pour chacun un milieu vital. Il n’empêche que, sans l’existence sociale pré-humaine, le langage n’aurait pu se développer, et sans le développement du langage l’Homo sapiens ne serait pas apparu. (…) Et langage et société constituent eux-mêmes le milieu indispensable à l’éveil de la conscience de soi.

François Flahault : Le paradoxe de Robinson. Capitalisme et société. Descartes et compagnie. Mille et une nuits. 2003, p. 66.

Castoriadis : l’articulation entre le sujet et le social

« la démarche de Castoriadis a été l’inverse de celle des psychanalystes. Il est parti du champ social pour s’intéresser dans un second temps à la psyché, ce qui atteste d’une démarche originale dans la manière d’interroger l’articulation entre le sujet et le social. (…) La réponse suggestive que donne Castoriadis est de situer ce point d’articulation dans la sphère de l’imaginaire, lieu de rencontre entre le sujet et son imaginaire radical étayé sur ses sources pulsionnelles et entre les significations imaginaires de la société. Il en résulte un processus d’appropriation ou de refus plus ou moins intense qui aura pour effet de conforter l’hétéronomie existante ou de développer les forces agissantes vers davantage d’autonomie.

François Dosse : Castoriadis. Une vie. La Découverte, 2014, p.197-198.