Une société « paradoxante »

« Les changements auxquels nous assistons depuis quelques décennies conduisent à une exacerbation des contradictions, une radicalisation des enjeux, un bouleversement des représentations, dont le sens échappe aux paradigmes habituellement utilisés par les sciences économiques et les sciences sociales (…)

Cet ouvrage se propose d’explorer la genèse et la mise en oeuvre de cet ordre paradoxal : pourquoi et comment les contradictions se transforment en paradoxes, comment les individus et les groupes réagissent à ce mécanisme qui parait global, quelles sont les formes de résistance qu’il suscite, les réactions défensives qu’il entraine et les mécanismes de dégagement pour « s’en sortir ».

V. de Gaulejac et F. Hanique : Le capitalisme paradoxant,Seuil, 2015, p. 16

Nous sommes dans l’itinérance

« Nous sommes dans l’itinérance.Nous ne sommes pas en marche sur un chemin balisé, nous ne sommes plus téléguidés par la loi du progrès, nous n’avons ni messie ni salut, nous cheminons dans nuit et brouillard. Ce n’est pas l’errance au hasard, encore qu’il y ait hasard et errance ; nous pouvons avoir aussi des idées-phares, des valeurs élues, une stratégie qui s’enrichit en se modifiant. Ce n’est pas seulement la marche à l’abattoir. Nous sommes poussés par nos aspirations, nous pouvons disposer de volonté et de courage. L’itinérance se nourrit d’espérance. Mais c’est une espérance privée de récompense finale ; elle navigue dans l’océan de la désespérance.

L’itinérance est vouée à l’ici-bas, c’est-à-dire au destin terrestre. Mais elle porte en même temps une recherche des au-delà. Ce ne sont pas des « au-delà » hors du monde, ce sont les « au-delà » du hic et nunc les « au-delà » de la misère et du malheur, les « au-delà» inconnus propres justement à l’aventure inconnue. Lire la suite

Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ?

Les lieux de savoir sont les lieux successifs occupés par des acteurs individuels ou collectifs sur une carte institutionnelle, disciplinaire, politique. Ils sont institués par des interactions vivantes, le temps d’un cours, d’un séminaire, d’une conférence, d’une discussion, d’une soutenance de thèse, d’une controverse, mais aussi par un cheminement de recherche. Ils sont aussi les lieux matériels, construits ou naturels, où se déploient ces activités qu’ils abritent : salles de cours, laboratoires, bibliothèques, jardins botaniques, musées, ateliers. Ils sont également les instruments, les outils, les échantillons, les machines, qui accompagnent les gestes de la main et ouvrent de nouvelles dimensions à la perception et à la pensée humaines. Ils sont enfin les artefacts qui permettent de matérialiser et d’inscrire le savoir ou qui jouent un rôle dans sa construction même : dessins, schémas, textes écrits, discours portés par la voix. Ils sont les inscriptions portées sur ces supports, les signes ou les assemblages de signes, les tracés, le texte qui matérialisent et objectivent les savoirs et les rendent transitifs, transmissibles, communicables.

C. Jacob : Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? OpenEdition Press 2014

l’étranger nous habite (Kristeva)

 

« Étrangement, l’étranger nous habite: il est la face cachée de notre identité, l’espace qui ruine notre demeure, le temps où s’abîment l’entente et la sympathie. De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même. Symptôme qui rend précisément le «nous» problématique, peut-être impossible, l’étranger commence lorsque surgit la conscience de ma différence et s’achève lorsque nous nous reconnaissons tous étrangers, rebelles aux liens et aux communautés. »

Julia Kristeva : réflexions sur l’étranger (conférence prononcée au Collège des Bernardins, le 1e octobre 2014)

http://www.kristeva.fr/reflexions-sur-l-etranger.html

Capitalisme et sens commun

« Le progrès de la société – s’il est possible – ne tient pas à un objectif grandiose tel que le « renversement du capitalisme » ou sa transformation radicale, mais à une lente modification des lieux communs (des représentations communément partagées) concernant l’être humain et la société. Un changement qui, s’il s’opère, entamera la force du discours dominant et rendra légitime une autre manière de penser et d’agir. »

François Flahault : Le paradoxe de Robinson. Capitalisme et société. Mille et une nuits, 2003.

Affrontements

Ici, finalement, dans nos villes de glaises, les affrontements concernent tout le reste de la vie – pas besoin d’uniforme pour organiser les offensives contre elle, pas besoin de canons et de généraux : chacun le soldat de son armée entière, chacun sa position, chacun établit le compte de ses morts intérieurs – et aucune trêve pour aucune fin à ces guerres.
Seulement, ici, dans nos villes semblables, plus personne pour savoir pourquoi la guerre se mène, ni où elle se mène, ni en fonction de quelles stratégies – les affrontements sont une seconde après l’autre, le champ total de l’existence vécue en ces termes.
Là-bas, dans les villes libérées, on prépare d’autres affrontements.

Extrait de: Arnaud Maïsetti. Affrontements. Publie.net

Va jusqu’au bout de tes erreurs

Va jusqu’au bout de tes erreurs, au moins de quelques unes, de façon à en bien pouvoir observer le type. Sinon, t’arrêtant à mi-chemin, tu iras toujours aveuglément reprenant le même genre d’erreurs, de bout en bout de ta vie, ce que certains appelleront « ta destinée ». L’ennemi qui est ta structure, force-le à se découvrir. Si tu n’as pas pu gauchir ta destinée, tu n’auras été qu’un appartement à louer.

H. Michaux. Poteaux d’angle. Cité par A. Maïsetti en exergue à Affrontements. Publie.net

Écologie de l’attention

« Si notre attention est un champ de bataille où se joue le sort de nos soumissions quotidiennes et de nos soulèvements à venir, alors nous sommes à la croisée des chemins. Chacun peut apprendre à mieux « gérer » ses ressources attentionnelles, pour être plus « performant » et plus « compétitif »… Ou alors, nous pouvons apprendre à nous rendre mieux attentifs les uns aux autres, ainsi qu’aux relations qui tissent notre vie commune. Lire la suite

LENDEMAINS GUERRES…

LENDEMAINS GUERRES ET LARGES

http://www.nuitetjour.xyz/nuitetjourfree/2015/11/22/lendemains-guerres-et-larges-par-arnaud-masetti

…. « C’est le propre de l’Histoire quand elle a lieu : qu’elle se dérobe sous nos pieds. Viendra le temps de la pensée, puis celle, sans doute, de l’action. Pour l’heure, passé celui de la sidération et de l’émotion, c’est le temps redoutable et infect des bavardages, des avis délivrés comme pour se vautrer dans soi-même, et de jouir de la lâcheté d’en posséder un, d’avis, et que dans sa banalité, ils trouvent là leur singularité.

Pendant trois jours évidemment, surtout ne pas écrire qui ajouterait aux mots d’autres mots et la honte. Lire la suite

à ceux qui déclenchent les guerres

« Karel écrivait : La guerre est une banalité qui nous contraint à remplacer ce que nous avons détruit par ce que d’autres détruiront. Il m’a longtemps semblé que cette phrase énonçait une fatalité pire que l’ironie, puis je me suis aperçu que Karel signifiait que la guerre est un système qui s’entretient de lui-même. Qu’importe ses acteurs et ses justifications, il se nourrit de ses dévastations. La victoire et la défaite n’ont aucune pérennité, sinon comme germes de la prochaine guerre. »

Ayerdhal : Chroniques d’un rêve enclavé, Au diable vauvert, 2009.