La haine (Günther Anders)

Plus vrai que le célèbre « principe ergo » de Descartes, il y a cet autre, vulgaire, quasi universellement reconnu : « Je hais donc je suis. » Ou plus précisément : « Je hais donc je suis moi. » Ou finalement : « Donc je suis quelqu’un« .

En effet, la haine n’est pas seulement la forme première (pré-théorique) de la négation, elle n’est pas seulement le plaisir anticipé (sadique) d’anéantir l’autre, mais simultanément aussi l’affirmation de soi et la constitution de soi par négation et destruction de l’autre. A tout le moins aussi juste que le principe de Fichte, le moi pose le non-moi, il y a celui énonçant que le moi se « pose » lui-même par l’anéantissement du non-moi. (p. 33-34). Lire la suite

Armand Gatti Une préface…

où Gatti dit ce que pourrait être et ne pas être… une préface (dans « La Parole errante », p. 38 et suivantes)

Une préface, certes, mais à quoi ?

 

Ce pourrait être l’oeuvre absente devenue écrite d’un texte dont seuls les doutes sur son existence ont servi jusqu’ici d’existence. Les grotesques encadrent un portrait jamais peint. (p. 39)

 

Ce pourrait être, hors texte, la réponse longtemps retardée à une commande de l’an 2000: « Vos mots sur une scène de théâtre, c’est quoi ?… » Il n’y a pas de réponse. Simplement une interrogation des personnages d’un drame écrit, faite à trois récits qui disent le toujours même enfermement – et, par opposition, la même liberté. (p.43).

 

Ce pourrait ne pas être le concret de la page écrite prise pour objet – et son ouverture, pour une liberté. Il y a des pages trouées de blanc. Ce blanc troué de paroles comme des blessures par balles est à la fois le même texte et son impossibilité sans cesse interrogée (investie). (p. 45).

 

D’un côté la grammaire gouverne son dire. De l’autre, le mythe lui donne un sens. (p.46).

 

 

Michel Vezina « raconter notre monde »

Le roman, le documentaire, le reportage et l’essai, formes qui tentent de raconter notre monde, sont à réinventer. Un genre nouveau est à créer qui passe peut-être par une fragmentation semblable à celle proposée par internet. Nous avons besoin d’un décloisonnement des formes, de modèles de réflexion et de création indisciplinées, comme ce que certains chercheurs, dont Myriam Suchet, commencent à proposer pour envisager notre monde. (…) Il faudrait à la fois intégrer (et se sortir) du roman, de la nouvelle (au sens journalistique de celle-ci), du reportage, de l’essai, du scénario (…), du blogue, du commentaire (…)

Je veux me fondre dans une réflexion qui engagerait ma présence au  monde, mon emprise et ma responsabilité sur les évènements qui ponctuent mes journées et celles de mes contemporains. Je veux comprendre le monde en le disant, en le nommant, en tenant pour acquis que la manière de dire est au moins aussi importante que ce qui se dit.

Michel Vézina, Pépins de réalités, Tête première, 2016, p. 191-192.

Michel Vézina Pépins de réalités

Je lis « Pépins de réalités » de Michel Vézina (éditions Tête première, 2016). J’ai rencontré Michel Vézina ce samedi 4 mars au séminaire des Fabriques de sociologie à St Denis. Il était venu avec son camion librairie. J’ai dû partir avant la fin de l’après-midi et je n’ai pas pu assister à son « intervention », mais j’avais acheté son livre que j’ai commencé à lire dans le train. Un livre d’un genre inclassable « entre roman, essai, récit et poésie – qui questionne les nouvelles formes de description du réel… » selon la quatrième de couverture. Deux extraits :

« S’immiscer dans les interstices de notre monde lisse. Doucement agrandir les fissures qui pourront peut-être un jour devenir des crevasses et faire se fendre les certitudes. L’idée, en tout cas celle d’interstice, est de Pascal Nicolas Le-Strat. (Puis une longue citation du livre de Pascal « Le travail du commun » dont je ne retiens ici qu’une partie)

Nombre d’expériences et parmi les plus créatives et les plus radicales finissent par rentrer dans l’ordre, par le fait d’une lassitude qui emporte les meilleures volontés ou d’une institutionnalisation qui, insidieusement, assimile et phagocyte le processus expérimental. L’interstice a vécu ; ses perspectives se referment, se restreignent. Il n’existe aucune initiative qui ne soit assimilable, aucun projet qui ne soit récupérable. Rien dans leur définition ou dans leur constitution ne saurait les protéger. Seuls leur mouvement d’autonomisation, leur ingéniosité et leur intelligence des situations leur permettent de résister… »

« Souvent je me dis que je devrais tout simplement ne faire que lire. »

(Michel Vézina  Pépins de réalités, éditions Tête première, 2016, p. 82-83) Lire la suite

Fragilité et puissance de la parole

Quelques extraits de :

L’événement de parole: expérience de la voix et construction de soi – Perspectives subjectives, rêveries, cheminement autour de la parole (et du poème)

Nathalie Brillant Rannou

Publié le 5 février 2017 http://autolecture.hypotheses.org/69

« La parole requiert pudeur, prudence, c’est un sujet qui touche au sacré, à l’intime, au plus vibrant de notre identité et de notre relation à l’Autre. (…)

Je voudrais interroger la parole en tant qu’expérimentatrice, en tant que lectrice. Ou plutôt en tant que lectrice qui s’interroge aussi sur la lecture, la littérature, les arts des mots… les arts de … la parole. Je voudrais donc réfléchir à la parole du point de vue de son expérience. Or « faire l’expérience de la parole », qu’est-ce que cela recouvre ? De quoi cela se distingue ? En quoi est-ce désirable ? Redoutable ? Profitable ? Fondateur ? Et de quoi ? De façon plus personnelle et intime je me demande : de quelle parole sommes-nous faits ? Sommes-nous disponibles à la parole, laquelle, lesquelles ? De quelle parole relève notre humanité (quand nous ne sommes pas dans un rapport utilitaire, de pouvoir, de représentation, de marchandage, d’usages truqués entre nous) ? Lire la suite

Questions de complexité

« ce qui pose souvent question n’est pas tant les solutions proposées, que la définition même de la question. »

« Un certain mépris pour les expériences pratiques inscrit dans nos cultures scientistes de recherche et de formation cherche à nous convaincre qu’il faut d’abord résoudre théoriquement les problèmes pour en déduire ensuite les pratiques contextualisées en appliquant les solutions élaborées dans l’intimité de la théorie. »

« Cessons de penser que la solution du problème que l’on se pose peut être apportée d’en haut et de l’extérieur par de seuls « experts » non impliqués dans les enjeux du problème en question. Lorsqu’on applique des solutions ainsi conçues, qui ressemblent à des formules passe partout, toutes faites, imprégnées de pensée déterministe, il est rare que cela fonctionne bien. Mais lorsque les questions pragmatiques sont vraiment prises en considération, que la situation singulière est examinée – modélisée – à l’aide des connaissances existantes, E. Ostrom montre dans ses ouvrages concernant le « Working together » qu’il est possible de mettre au point des principes de conception de situations d’action collective dans lesquelles les professionnels peuvent coopérer, communiquer, créer un rapport de confiance, de réciprocité, et contribuer à résoudre leurs questions du travailler ensemble « à fins de ».

Fleurance, P. (2016). Enrichir nos cultures épistémologiques pour concevoir la complexité, dans Interlettre chemin faisant, Réseau intelligence de la complexité, n°80, Dec. 2016 Janv. 2017

le rapport à l’écrit et le goût

« Ce qui se manifeste dans le rapport aux textes que je lis ne serait autre que les traces du monde social dont je suis issue, monde composé de mes expériences successives, des marques qu’elles ont imprimées en moi et de leur entrelacs mouvant, que l’on nomme notre goût.

Ce qu’on nomme notre goût ne nous est donc pas singulier : il est le résultat visible de la multiplicité de nos expériences, de la singularité de l’agencement de multiples influences pour chacun de nous. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas,en effet, pour la simple raison qu’ils sont le résultat patiemment construit de trajectoires singulières, d’entrecroisement d’expériences, de nostalgies et de figures d’autorité. »

Claire Aubert, Des gestes de lecteurs. éditions du commun, 2016 (p.29)

Les concepts : la « tool-box » de Foucault

 

Dans sa préface au livre de Thierry Gutknecht « Actualité de Foucault. Une problématisation du travail social », Claude de Jonckheere évoque « des théories critiques se référant à Foucault produites par des auteurs qui diagnostiquent les pratiques  du travail social « du dehors ». Elles relèvent d’une posture (…) qui fait de l’homme un être absent au monde, qui le regarde de haut comme une sorte de « voyageur d’impériale ».

Les auteurs de telles théories critiques ont certainement lu Foucault trop vite. Lire la suite

H. Becker : de l’utilité des cas particuliers

Quelques citations de Howard Becker, extraites d’un livre récemment traduit en français :

« Mon objectif  est une compréhension fine de phénomènes sociaux étudiés au plus près, en découvrant le plus de choses possibles à leur sujet. (p. 10).

« C’est pourquoi je m’appuie sur ce qu’on appelle généralement des cas, c’est à dire des études approfondies de situations, d’organisations de types d’évènements singuliers. (…) Tout ce qui est présent dans la situation à comprendre, ou qui lui est lié, doit être pris en compte. (…) Les phénomènes que j’étudie se déroulent dans le temps, aussi j’incorpore dans ma réflexion l’idée de changement ou de processus. (p. 11). Lire la suite