Guattari (avril 1992)

Dans une interview pour une revue allemande, Félix Guattari disait :

« C’est important pour moi d’affirmer par provocation – délibérée – le caractère de finitude du rapport aux médias actuels. Cela ne va pas durer toujours, on voit bien aujourd’hui, en France l’état de catastrophe des télévisions, et, demain de la presse écrite. Ça va aller mieux après ? Mais je n’en sais rien, tout peut mourir. Imaginez le paysage français avec la mort du Monde ou de Libération (…) Il est possible que les médias tombent au rang de banalisation du téléphone. Et que la fascination du média disparaisse, remplacé par d’autres pratiques télématiques, d’interactivité, avec banques de données,etc. Les médias continuerons d’exister, comme le téléphone, mais ne serons plus investis de la même façon. »

Qu’est-ce que l’écosophie ? Éditions Lignes IMEC, 2013. p. 165

Savoir, apprendre, transmettre. Le rapport au savoir selon F. Hatchuel

Françoise Hatchuel (2005/2007). Savoir, apprendre, transmettre. Une approche psychanalytique du rapport au savoir. La Découverte Poche.

Quelques citations :

Enseigner, c’est en effet se relier, durant de longues heures de face à face, à un groupe d’élèves ou d’étudiants avec notre mode de lien aux autres qui répète et met en scène ce qu’il y a de plus profond en nous, notre rapport à nous-mêmes et au monde, dans ce jeu permanent d’attentes, de fantasmes et de représentations.

Or ce lien n’est ni gratuit ni fortuit, puisque c’est par son biais que nous devons mettre les élèves en relation avec ce savoir que nous avons choisi de représenter. (…) (p. 124)

 

La capacité des enseignants à construire et à maintenir ces liens entre personnes et avec le savoir pourrait donc s’avérer absolument essentielle, et les instituer dans une véritable « fonction humanisante » d’adulte ayant à transmettre un savoir non plus disciplinaire mais sur la condition d’être humain. (p. 124-125).

 

Car ce qui apparaît de plus en plus déterminant, c’est la façon dont le rapport au savoir de l’enseignant ou de l’enseignante structure ce que (C. Blanchard-Laville) appelle l’espace psychique de la classe.L’enseignant laisse là comme une signature, à la fois didactique et relationnelle, c’est à dire une façon d’être et de faire significative de sa façon de se relier à la fois aux élèves et au savoir, et de relier les élèves eux-mêmes au savoir. Cette empreinte peut s’analyser et constitue le « transfert didactique ». (p. 131).

 

Il semble donc que le « climat transférentiel », c’est à dire le registre fantasmatique dans lequel s’inscrit le cours, soit plutôt instauré par l’adulte, qui « modèle » en quelque sorte l’espace psychique de la classe en fonction de son propre rapport au savoir et de ce qu’il attend inconsciemment de l’enseignement : le savoir qu’il ou elle enseigne représente-t-il à ses yeux un objet magique à vénérer, un privilège à conserver, une défense contre les angoisses de chaos, une « bonne nourriture » à donner aux élèves, etc.? (p. 132).

 

Si l’enseignant ou l’enseignante acquiert une connaissance empathique de ce mode de compréhension des choses, sa manière de se relier aux élèves a des chances de se modifier imperceptiblement. Cette imperceptible différence fera que l’élève sera plus souvent traité en sujet, porteur ou porteuse d’un désir autonome et inaliénable, que réduit au rang d’objet d’emprise. (p. 135).

 

La question du rapport au savoir est avant tout celle du lien et de l’autonomie du sujet. (p. 137).

 

Objet social avant de devenir celui d’un sujet singulier, le savoir peut donc être considéré comme un objet transitionnel , support d’une médiation entre soi et l’autre, et qui questionne notre relation aux autres, telle que nous l’avons construite qu cours de notre histoire personnelle et telle que nous la vivons au quotidien. (p. 138).

 

Si nous voulons que les savoirs ne soient pas de simples informations empilées dans un réceptacle passif, nous devons accompagner, pour nous-mêmes et pour autrui, le remaniement psychique nécessaire à tout véritable apprentissage : sans travail sur soi, on court le risque de rester soumis au savoir, qui apparait au mieux comme une injonction, au pire comme un danger ou un extérieur inaccessible. C’est la posture adoptée face au savoir qui est émancipatrice, pas le savoir lui-même. (p. 139-140).

 

Si nous acceptons ce point de vue, nous pouvons alors considérer que le savoir serait, dans nos société modernes, probablement un des plus puissants outils de refoulement du doute et de l’angoisse de mort, puisqu’il constitue, d’une part, ce que nous pouvons transmettre et partager au-delà de la mort, et d’autre part, croyons nous, ce qui éliminera l’irrationnel de nos conduites.

L’illusion demeure, en effet, qu’une meilleure connaissance nous mènerait à la bonne action, nous évitant ainsi toute prise de risque.C’est l’illusion d’un savoir qui trancherait et résoudrait les conflits, venant se substituer aux choix d’ordre éthique et politique. (p. 140).

penser la socialisation-personnalisation

Hugon, M., Vilatte, A. et Prêteur,Y. (2013). Philippe Malrieu : un modèle de la socialisation-personnalisation, in A. Baubion-Broye et al. Penser la socialisation en psychologie. Actualité de la pensée de Philippe Malrieu. Toulouse : Erès.

Quelques extraits :

L’œuvre de Malrieu (…) propose un modèle dialectique de la socialisation, articulant changement individuel et changements sociaux. Dans ce modèle, le sujet est considéré comme acteur de ses conduites par les significations qu’il leur accorde dans les différents milieux et temps de sa socialisation. La socialisation ne résulte donc plus d’une simple acculturation ou d’un assujettissement aux règles et normes des systèmes institutionnels mais également d’une construction subjective (personnalisation).(…)

« Au-delà des institutions où il est directement engagé : famille, école, travail, groupes de pairs, l’adolescent approfondit ses relations avec les institutions de la société globale : économie, État, culture. »

A l’instar de Wallon et de Meyerson, Malrieu souligne l’inscription des conduites humaines dans des systèmes sociaux et culturels au sein desquels autrui tient un rôle de médiateur (pairs, éducateurs, etc.).

Pour Malrieu, la socialisation recouvre un double versant : un processus d’acculturation, consistant en l’appropriation d’un monde de culture et ayant pour principale finalité d’orienter les conduites de l’individu (…) et des processus de personnalisation, processus au sein desquels le sujet repère les insuffisances ou contradictions de ces contraintes sociales pour les dépasser et se déprendre de ses propres assujettissements.

La personnalisation se définit donc comme une construction originale par laquelle le sujet tente d’objectiver et surmonter les conflits à l’origine d’un sentiment de division.

La définition d’un projet cohérent de vie apparaît comme nécessaire pour dépasser ces conflits et continuer à se construire. Ce projet ne peut s’établir que sur une reconnaissance des expériences antérieures vécues et à l’intersection de normes multiples (idéologiques, morales, religieuses, philosophiques) que la personne rencontre au sein des différentes institutions qui l’éduquent.

« C’est par l’analyse critique de ses expériences et des normes qui l’entourent que le sujet va créer, innover, se personnaliser en accédant ainsi au statut de personne ».

Les dimensions que Malrieu propose au chercheur de repérer à partir des œuvres autobiographiques correspondent aux relations que le sujet entretient avec son entourage (personnes auxquelles il s’identifie ou s’oppose), aux idéologies dominantes dans les institutions et dans ses différents groupes d’appartenance et à la façon dont le sujet construit ses représentations de soi, son identité, à partir des relations qu’il élabore entre ces différents systèmes.

La façon dont Malrieu conceptualise son modèle de la socialisation ((…) est plurielle car elle se réalise simultanément dans des milieux différents et ce tout au long de l’existence. (…) « Considérant que les relations interpersonnelles sont médiatrices de la construction du sujet, l’hypothèse est de ne pas éparer l’étude des fonctions et des processus psychiques de celle de leurs cadres sociaux, des institutions et des représentations collectives.

Voir aussi : des extraits d’un article de Malrieu sur le site :

http://www.translaboration.fr/wakka.php?wiki=MalrieU

Ce que le numérique fait aux savoirs

Extrait de « La carte et l’Océan: ce que le numérique fait aux savoirs (4) »

Par Christian Jacob

http://lieuxdesavoir.hypotheses.org/1292

La masse des livres, le nombre des textes excèdent les capacités du lecteur individuel. La bibliothèque est un horizon qui peut être écrasant tant elle signifie notre finitude par rapport à l’infini des savoirs. Chaque lecteur doit donc apprendre à se repérer dans cet infini, et à tracer ses propres cheminements, personnels, partiels, inachevés, hésitants.

Ces cheminements peuvent être encadrés par les enseignants, qui déblaient le terrain et prescrivent les lectures. Ils peuvent aussi être menés de manière autonome, selon de multiples stratégies : aléatoires ou programmées, extensives ou intensives, digressives ou focalisées.

Le numérique fait de chacun d’entre nous un voyageur, un nomade et un braconnier, pour reprendre les belles images que Michel de Certeau appliquait à l’homme ordinaire et à ses libres déambulations. Il faut essayer de tracer son chemin au ras du sol, tout en ayant une vision aérienne, cartographique, schématique, de l’espace dans lequel on circule. Le numérique est un art du cheminement, qu’il s’agisse de lire, d’écrire, ou de lier et de relier. Cheminer en liant, en déliant, en reliant. Il y a deux dimensions intimement corrélées : apprendre à avancer, à aller d’un lieu à l’autre sans se perdre, maîtriser les bifurcations, savoir se repérer; mais aussi identifier les lieux où l’on se trouve, les comparer, les évaluer, disposer de l’outillage critique pour sonder les terrains des sites que l’on visite, les informations que l’on collecte.

une vieille pensée sur la pensée

 L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée.

B. Pascal

la leçon de Barthes

Car ce qui peut être oppressif dans un enseignement, ce n’est pas finalement le savoir ou la culture qu’il véhicule, ce sont les formes discursives à travers lesquelles on les propose. Puisque cet enseignement a pour objet, comme j’ai essayé de le suggérer, le discours pris dans la fatalité de son pouvoir, la méthode ne peut réellement porter que sur les moyens propres à déjouer, à déprendre, ou tout au moins à alléger ce pouvoir. Et je me persuade de plus en plus, soit en écrivant, soit en enseignant que l’opération fondamentale de cette méthode de déprise c’est, si l’on écrit, la fragmentation et, si l’on expose, la digression, ou, pour le dire d’un mot précieusement ambigu : l’excursion.

Roland Barthes Leçon (texte de la leçon inaugurale au Collège de France), Seuil, 1978

langage et pouvoir d’agir

 

« Nous attribuons au langage un pouvoir d’agir (agency), un pouvoir de blesser (…). Le langage pourrait-il nous blesser si nous n’étions pas, en un sens, des êtres de langage, des êtres qui ont besoin du langage pour être ? »

 

Judith Butler « Le pouvoir des mots. Politique du performatif, Editions Amsterdam, 2004 (1997). Traduction et préface de Charlotte Nordmann. (p. 21).

Un pas de côté

L’expression pas de côté m’est familière, je la situe dans le discours ordinaire de la psychanalyse, tant du côté des analystes que des analysants : parvenir à faire un pas de côté par rapport aux transmissions, aux normes, aux assujettissements de l’inconscient, aux déterminismes de la névrose, c’est l’un des principaux objectifs d’une analyse. Pas de côté, c’est la formulation d’une réflexivité spatialisée, par le déplacement de nos pieds sur le sol de notre existence.

La suite :  « Prélude. La réflexivité est un sport de combat » , par Marie-Anne Paveau

sur le site http://reflexivites.hypotheses.org/author/penseedudiscours

chercher un visage ami

« C’est comme quand vous êtes dans la foule et que vous cherchez un visage ami, pas n’importe qui, justement pas, un ami, un visage qui soit celui d’un ami, un visage dans le regard de qui il soit possible de plonger le regard, et de se tenir. Plonger son regard dans un texte, c’est comme plonger dans le regard d’un autre, non ? Et accéder à la dimension que nos corps ne disent pas. »
Extrait de : Vingt-trois minutes pour ne pas devenir fou (3)
Isabelle Pariente-Butterlin _  le 11 décembre 2013.

http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article1759

Un texte dans lequel on plonge, et qui nous tient, nous aide à tenir ou à savoir à quoi l’on tient. Souvent les textes d’Isabelle… la profondeur de son regard, sur le monde… sont comme le visage d’un ami