« cette pulsion à raconter, ou seulement à soutenir par le langage la permanente, sombre et douloureuse confrontation au monde »
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4408
« cette pulsion à raconter, ou seulement à soutenir par le langage la permanente, sombre et douloureuse confrontation au monde »
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où Gatti dit ce que pourrait être et ne pas être… une préface (dans « La Parole errante », p. 38 et suivantes)
Une préface, certes, mais à quoi ?
Ce pourrait être l’oeuvre absente devenue écrite d’un texte dont seuls les doutes sur son existence ont servi jusqu’ici d’existence. Les grotesques encadrent un portrait jamais peint. (p. 39)
Ce pourrait être, hors texte, la réponse longtemps retardée à une commande de l’an 2000: « Vos mots sur une scène de théâtre, c’est quoi ?… » Il n’y a pas de réponse. Simplement une interrogation des personnages d’un drame écrit, faite à trois récits qui disent le toujours même enfermement – et, par opposition, la même liberté. (p.43).
Ce pourrait ne pas être le concret de la page écrite prise pour objet – et son ouverture, pour une liberté. Il y a des pages trouées de blanc. Ce blanc troué de paroles comme des blessures par balles est à la fois le même texte et son impossibilité sans cesse interrogée (investie). (p. 45).
D’un côté la grammaire gouverne son dire. De l’autre, le mythe lui donne un sens. (p.46).
Le roman, le documentaire, le reportage et l’essai, formes qui tentent de raconter notre monde, sont à réinventer. Un genre nouveau est à créer qui passe peut-être par une fragmentation semblable à celle proposée par internet. Nous avons besoin d’un décloisonnement des formes, de modèles de réflexion et de création indisciplinées, comme ce que certains chercheurs, dont Myriam Suchet, commencent à proposer pour envisager notre monde. (…) Il faudrait à la fois intégrer (et se sortir) du roman, de la nouvelle (au sens journalistique de celle-ci), du reportage, de l’essai, du scénario (…), du blogue, du commentaire (…)
Je veux me fondre dans une réflexion qui engagerait ma présence au monde, mon emprise et ma responsabilité sur les évènements qui ponctuent mes journées et celles de mes contemporains. Je veux comprendre le monde en le disant, en le nommant, en tenant pour acquis que la manière de dire est au moins aussi importante que ce qui se dit.
Michel Vézina, Pépins de réalités, Tête première, 2016, p. 191-192.
« Ce qui se manifeste dans le rapport aux textes que je lis ne serait autre que les traces du monde social dont je suis issue, monde composé de mes expériences successives, des marques qu’elles ont imprimées en moi et de leur entrelacs mouvant, que l’on nomme notre goût.
Ce qu’on nomme notre goût ne nous est donc pas singulier : il est le résultat visible de la multiplicité de nos expériences, de la singularité de l’agencement de multiples influences pour chacun de nous. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas,en effet, pour la simple raison qu’ils sont le résultat patiemment construit de trajectoires singulières, d’entrecroisement d’expériences, de nostalgies et de figures d’autorité. »
Claire Aubert, Des gestes de lecteurs. éditions du commun, 2016 (p.29)
Dans sa préface au livre de Thierry Gutknecht « Actualité de Foucault. Une problématisation du travail social », Claude de Jonckheere évoque « des théories critiques se référant à Foucault produites par des auteurs qui diagnostiquent les pratiques du travail social « du dehors ». Elles relèvent d’une posture (…) qui fait de l’homme un être absent au monde, qui le regarde de haut comme une sorte de « voyageur d’impériale ».
Les auteurs de telles théories critiques ont certainement lu Foucault trop vite. Lire la suite
Les arts sont nés simultanément dans tous les groupes humains qui développaient leur intelligence, leur savoir, leur langage, leur organisation sociale. Le corps de l’être humain porte la mémoire de cette longue évolution et l’art connait la polyvalence de ce corps.
L’art permet le dialogue et la comparaison entre les différentes constructions culturelles, entre les successives civilisations qui témoignent de notre histoire, notamment en mettant en continuité des modes de vie qui utilisent pareillement nos capacités imaginatives et intellectuelles. Or la parole ne suffit pas pour qui veut aimer, faire l’amour, s’émouvoir, être reconnu, admiré, jouer, rechercher la complicité, la chaleur et la force du groupe, et détruire ou concevoir des mécanismes, des procédures, des stratagèmes, tuer, être effrayé. Et même échanger, même discuter, mentir sont autant d’expériences à vivre, dans notre réalité ou notre imagination, qui débordent la parole. Lire la suite
Dans son texte intitulé « Par delà les machines », publié dans la réédition de l’ouvrage « Les gestes » (Al Dante – Aka, 2014), Vilem Flusser évoque une « technicisation du travail » et sa perte de sens.
« Quand la politique et la science se séparent, la technologie s’installe, et quand l’aspect ontologique du travail se sépare de son aspect déontologique, l’aspect méthodologique triomphe. Les questions « Pour quoi faire ? » et « Pourquoi ? » se réduisent à la question « Comment ? ». (…)
C’est seulement maintenant que l’on commence à percevoir le résultat de l’évacuation du « bien » et du « vrai » par « l’efficient ». On le voit sous des formes brutales avec Auschwitz, les armes atomiques et les diverses technocraties. Mais on le voit surtout dans des formes plus subtiles de pensée telles que l’analyse structurale, la théorie des jeux et l’écologie. Cela signifie que l’on commence à voir que là où l’intérêt se déplace de la politique et de la science vers la méthode, tout questionnement orienté vers les valeurs devient « métaphysique » au sens péjoratif du terme, tout comme la moindre question sur « la chose même ». L’éthique, comme l’ontologie deviennent des discours dépourvus de sens, car les questions que ces disciplines posent ne participent d’aucune méthode, qui autoriserait des réponses. Et là où il n’y a aucune méthode fondant la réponse, la question n’a aucun sens. Lire la suite
« pourquoi fume-t-on la pipe ? La réponse évidente est : par plaisir. (…) On fume la pipe pour le plaisir d’être obligé d’interrompre sa vie utile et faire des sacrifices inutiles. Mais pourquoi est-ce un plaisir ? Parce que, par une telle interruption et un tel sacrifice, on commence à vivre pour vivre. On vit quand on fume. On exprime son existence par ce geste inutile et couteux. (…) Vivre sa vie, c’est faire des gestes dans lesquels on se reconnaît grâce aux limitations et grâce à leur inutilité, et c’est cela la vie artistique. Elle est donc le contraire d’une vie spontanée : elle est artificielle. Fumer sa pipe est un geste délibéré, artificiel, inutile et couteux. C’est pourquoi il fait plaisir : un plaisir esthétique. Lire la suite
« Il y a des actes barbares, il n’y a pas de Barbares. La barbarie est un dérapage dans l’inhumanité qui menace tout individu, tout groupe humain. C’est une aliénation, une altération d’humanité qui n’est pas réservée à certains. L’Europe a payé le prix lourd pour comprendre que la barbarie pouvait naître au cœur de grandes civilisations. La patrie de Kant et de Beethoven pouvait aussi enfanter le nazisme. La patrie de Dante pouvait enfanter le fascisme, celle des droits de l’homme le colonialisme, celle de Cervantès le franquisme, celle de l’habeas corpus l’impérialisme, celle de la libération du tsarisme, la terreur stalinienne, celle de la statue de la liberté organiser un système international de torture.. La liste est infinie. Lire la suite
« ma famille aimait jouer des langues. On accordait attention et valeur à la force des mots. Je me suis presque immédiatement tenue loin de tout usage scolaire, académique, journalistique. La langue a toujours signifié : liberté. Saute-frontière. Hors-la-loi : ce qui ne peut avoir lieu qu’à condition qu’il y ait de la loi depuis la stabilité de laquelle s’élancer pour faire des sauts périlleux. Et puis, quel moyen de transport vers les profondeurs, que d’échelles souterraines et aériennes : les mots, je les remonte jusqu’à la racine. Ils sont tout jeunes et millénaires. Je leur demande toujours d’où ils viennent, ils portent les temps comme un pollen sur leur corselet. Et puis ils sont métis. Si seulement ces malheureux Français obtusément nationalistes comprenaient qu’ils ne prononcent pas une phrase qui ne soit pas de poly-origine, qu’il y a de l’arabe sur leur langue !
Hélène Cixous (avec Cécile Wajsbrot) : une autobiographie allemande, Christian Bourgois, 2016