Lucioles

Davantage que de définir, il s’agit de se réunir, de faire lien. DE SE SITUER LUCIOLE PARMI LES LUCIOLES DANS L’UNE DES CONSTELLATIONS QUI S’EFFORCE DE TRANSFORMER CE QUI L’ENTOURE, OBSTINEMENT. Car, si l’époque est sombre, nombreuses et nombreux sont ceux qui résistent, s’organisent, luttent, inventent et créent – en allumant autant de lueurs fugaces et d’étincelles de désir. (p. 8)

CE LIVRE : UNE MAIN TENDUE. Et aussi ce livre : une invitation à (se) reconfigurer. Car ce n’est peut-être pas en regardant ailleurs mais en bougeant sur place que nous pouvons faire émerger des possibles inaperçus, des alternatives dissimulées. Il s’agirait alors d’abord DE MODIFIER LES CONFIGURATIONS, DE RENOUVELER LA CONNECTIQUE DE NOS REPRESENTATIONS. (p. 13)

Myriam Suchet (2016). Indiscipline ! Ed. Nota Bene

 

 

rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé

Si la finalité dernière de l’anthropologie est, comme je l’ai dit, non pas documentaire, mais transformationnelle, il nous appartient de rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé. Que valent les transformations personnelles si elles s’achèvent avec nous, si nous mêmes ne poursuivons pas le processus de transformation réciproque des autres et du monde ? Enseigner, c’est honorer notre engagement en rendant au monde ce que nous lui devons pour nous avoir formés.

Tim Ingold : Faire.Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p. 48

la relation entre le concevoir et le faire

Les chasseurs rêvent souvent d’animaux avant de les croiser. Les artistes, architectes musiciens et écrivains sont eux aussi à l’affût de visions fugitives d’une imagination qu’ils s’efforcent de capturer pour pouvoir les mettre sur le métier et les travailler. Tout comme les chasseurs, eux aussi s’ingénient à capturer les rêves. Tous les efforts humains, semble-t-il, sont tendus entre la capture des rêves, d’une part, et le travail des matériaux, d’autre part. Dans cette tension entre l’attraction des espoirs et des rêves et le frein des contraintes physiques ( et non pas dans l’opposition entre réflexion savante et exécution mécanique) se noue la relation entre le concevoir (design) et le faire (making). C’est précisément au point où l’imagination se frotte aux aspérités de la matière, et où les forces de l’ambition doivent se mesurer à la dure réalité du monde, que l’existence humaine est vécue.

Tim Ingold : Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture, Ed. Dehors, 2017, p. 164-165

connaître est en soi-même un mouvement (T. Ingold)

A propos de son apprentissage lorsqu’il était un jeune anthropologue, Ingold écrit :

« La seule manière de véritablement apprendre quelque chose – en l’apprenant de l’intérieur – est de l’apprendre en le découvrant par soi-même. (…)

La simple possession d’une information ne suffit pas à l’élaboration d’une connaissance, et garantit encore moins que celui à qui on les transmet comprendra de quoi il retourne. Les choses sont toujours plus faciles à dire qu’à faire (…)

Comment en vient-on à apprendre ? Pour faire court, je dirais que c’est en regardant, en écoutant, en sentant, en faisant attention à ce que le monde a à nous dire. Mes compagnons ne m’ont rien dit sur ce qu’il y avait à voir, à entendre, etc., ils n’ont rien fait pour m’épargner la peine d’avoir à apprendre par moi-même. Ils m’ont bien plutôt montré comment je pourrais le découvrir. Ils m’ont appris ce qu’il fallait chercher et comment pister les choses ; ils m’ont appris que tout acte de connaissance est un processus d’accompagnement actif qui consiste à se mettre en chemin avec ce que l’on cherche à connaître. Ces personnes avaient toujours vécu de la pêche, de la chasse et de l’élevage de rennes. C’était pour elles une seconde nature de penser que nul ne connait qu’en cheminant avec ce qui doit être connu et que le mouvement n’est pas seulement un moyen pour accéder à la connaissance, mais que connaître est en soi-même un mouvement. (…)

Aujourd’hui, avec le recul, je mesure tout ce que ma réflexion et mes choix théoriques en faveur de telle philosophie plutôt que telle autre doivent à cette façon de voir. »

Tim Ingold : Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p.19-20

 

Le terrain, apprendre des gens

Lorsque nous sommes sur le terrain, lorsque nous passons un certain temps parmi les gens, en pratiquant ce qu’on a l’habitude d’appeler l’observation participante (bienq ue nous, nous l’appelions plutôt « ethnographie »), nous apprenons des gens parmi lesquels nous vivons. Ce qui est en oeuvre en nous est un processus d’apprentissage, et celui-ci nous transforme : il change la façon dont nous percevons et pensons le monde – même si parfois nous ne nous en rendons compte que bien plus tard.

 

Tim Ingold, dans P. Descola et T. Ingold, Etre au monde. Quelle expérience commune ? Presses de l’Université de Lyon, 2014, p.34

La parole de Rancière

La parole qui maintient aujourd’hui ouverte la possibilité d’un autre monde est celle qui cesse de mentir sur sa légitimité et son efficacité, celle qui assume son statut de simple parole, oasis à côté d’autres oasis ou île séparée d’autres îles. Entre les unes et les autres il y a toujours la possibilité de chemins à tracer. C’est du moins le pari propre à la pensée de l’émancipation intellectuelle. Et c’est la croyance qui m’autorise à essayer de dire quelque chose  sur le présent.

Rancière, J. (2017). En quel temps vivons-nous ? La Fabrique

Foucault : l’écriture comme expérience et transformation

J’ai tout à fait conscience de me déplacer toujours à la fois par rapport aux choses auxquelles je m’intéresse et par rapport à ce que j’ai déjà pensé. Je ne pense jamais tout à fait la même chose pour la raison que mes livres sont pour moi des expériences, dans un sens que je voudrais le plus plein possible. Une expérience est quelque chose dont on sort soi-même transformé. Si je devais écrire un livre pour communiquer ce que je pense déjà, avant d’avoir commencé à écrire, je n’aurais jamais le courage de l’entreprendre. Je ne l’écris que parce que je ne sais pas encore exactement quoi penser de cette chose que je voudrais tant penser. De sorte que le livre me transforme et transforme ce que je pense. Chaque livre transforme ce que je pensais quand je terminais le livre précédent. Je suis un expérimentateur et non pas un théoricien. J’appelle théoricien celui qui bâtit un système général soit de déduction, soit d’analyse, etl’applique de façon uniforme à des champs différents. Ce n’est pas mon cas. Je suis un expérimentateur en ce sens que j’écris pour me changer moi-même et ne plus penser la même chose qu’auparavant.

Foucault, M. (2001). Dits et écrits II. 1976-1988. Paris : Gallimard Quarto. p. 860

Vivre seuls ensemble (Tzvetan Todorov)

(A propos d’Eward Saïd)

Au cours de ces mêmes années (1970) je poursuivais un travail parallèle sur le regard que les ressortissants d’une culture portent sur ceux d’une autre, donc sur l’unité et la pluralité intérieure de l’espèce humaine, travail dont sont issus mes livres La conquête de l’Amérique et Nous et les autres. (p. 26)

L’intellectuel  est d’abord celui qui ne se contente pas d’être le spécialiste de tel ou tel domaine, mais intervient dans la sphère publique, qui parle du monde et s’adresse au monde. (p. 34)

(Et à propos de l’exil) L’homme « dépaysé » qui émerge de cette expérience n’est toutefois pas un autochtone de plus : il ne renonce pas entièrement à son identité antérieure mais participe simultanément de deux cadres de référence, sans s’identifier pleinement à aucun. Cet individu voit chacune de ses cultures à la fois du dedans et du dehors, ce qui lui permet d’échapper à leurs automatismes et de les examiner d’un regard critique. (p. 35) Lire la suite

La haine (Günther Anders)

Plus vrai que le célèbre « principe ergo » de Descartes, il y a cet autre, vulgaire, quasi universellement reconnu : « Je hais donc je suis. » Ou plus précisément : « Je hais donc je suis moi. » Ou finalement : « Donc je suis quelqu’un« .

En effet, la haine n’est pas seulement la forme première (pré-théorique) de la négation, elle n’est pas seulement le plaisir anticipé (sadique) d’anéantir l’autre, mais simultanément aussi l’affirmation de soi et la constitution de soi par négation et destruction de l’autre. A tout le moins aussi juste que le principe de Fichte, le moi pose le non-moi, il y a celui énonçant que le moi se « pose » lui-même par l’anéantissement du non-moi. (p. 33-34). Lire la suite