la leçon de Barthes

Car ce qui peut être oppressif dans un enseignement, ce n’est pas finalement le savoir ou la culture qu’il véhicule, ce sont les formes discursives à travers lesquelles on les propose. Puisque cet enseignement a pour objet, comme j’ai essayé de le suggérer, le discours pris dans la fatalité de son pouvoir, la méthode ne peut réellement porter que sur les moyens propres à déjouer, à déprendre, ou tout au moins à alléger ce pouvoir. Et je me persuade de plus en plus, soit en écrivant, soit en enseignant que l’opération fondamentale de cette méthode de déprise c’est, si l’on écrit, la fragmentation et, si l’on expose, la digression, ou, pour le dire d’un mot précieusement ambigu : l’excursion.

Roland Barthes Leçon (texte de la leçon inaugurale au Collège de France), Seuil, 1978

B. Lahire : le dire sur le faire

 

LOGIQUES PRATIQUES Le « Faire » et Le « dire sur Le Faire » Bernard LAHIRE

Recherche et formation, n° 27 – 1998. Pages 15-28.

« Ainsi, à l’opposé d’une sociologie (souvent implicite) des « valeurs », des « représentations » et des « opinions » qui reste abstraite dans tous les moments de sa pratique (entretiens recueillant ce que les interviewés « pensent », les « opinions » ou les « représentations » de ceux-ci sur le sujet qui préoccupe le sociologue, théorie qui met en avant la « philosophie » des enquêtés, leurs propos généraux, explicites et ne portant sur aucune situation pratique particulière), une sociologie qui entend saisir les pratiques et les savoirs effectifs devrait porter son regard, à défaut parfois de pouvoir directement observer les pratiques (notamment dans l’univers familial), sur l’énonciation de situations, régulières ou exceptionnelles mais toujours particulières. Il s’agit de faire parler de situations pratiques plutôt que de demander de « livrer des représentations » en général. Cela suppose, bien entendu, une bonne connaissance préalable des situations possibles. Le problème ne réside donc pas dans le fait que nous ignorons ce que nous savons et ce que nous faisons, mais que nous ne disposons pas toujours des bons cadres (contextuels et langagiers) pour parler de ce que nous faisons et de ce que nous  savons. Lire la suite

L. Kaplan : Les mots

 

Leslie Kaplan

Les mots

© Leslie Kaplan & publie.net – tous droits réservés première mise en ligne sur publie.net

le 7 avril 2009

ce texte a été publié pour la première fois aux éditions Inventaire/Invention en 2007

 

ce que j’ai en commun, ce n’est pas la situation

sociale

politique

historique

psychologique

c’est la possibilité c’est que : en tant qu’être humain,

homme ou femme,

j’aurais pu

et ça, ce j’aurais pu, cette fiction

est contenu dans les mots

dans le langage

dans le fait que les mots essaient

de rendre compte du réel

au plus près

au plus singulier

et pour cela

par ce travail

ils essaient, les mots, de rendre compte

à la fois de ce qui est

et de ce qui est possible

du désir comme du cauchemar

la littérature ce n’est pas raconter sa vie

comme les émissions

soi-disant littéraires

de la télévision

voudraient le faire croire

la littérature c’est penser, essayer, avec des mots

c’est une recherche, concrète, vivante

avec des personnages,

qui sont des porte-questions,

avec des histoires, des récits,

avec des lieux

avec de l’espace, avec du temps

la littérature, c’est :

« quelque chose se passe, et alors, quoi ? »

c’est à l’intérieur du réel le plus réel

trouver, creuser, inventer, de l’ouvert

de l’écart

du décalage

du jeu

du possible

c’est entrer en contact avec le monde

si je vis telle situation, si je l’éprouve,

qu’est-ce que ça veut dire,

qu’est-ce que je peux en dire

 

Gilbert Simondon (1924- 1989)

D’après l’introduction de « L’individuation psychique et collective », paru en 1989 et réédité en 2007, avec une préface de Bernard Stiegler.

Simondon part du problème de l’ontogénèse (la constitution de l’être individuel). Il remarque que la plupart des théories philosophiques s’intéressent surtout à l’individu constitué. Il propose au contraire de considérer comme primordiale l’opération d’individuation.  Il écrit : « L’individu serait alors saisi comme une réalité relative, une certaine phase de l’être qui suppose comme elle une réalité préindividuelle, et qui, même après l’individuation, n’existe pas toute seule, car l’individuation n’épuise pas d’un seul coup les potentiels de la réalité préindividuelle, et d’autre part, ce que l’individuation fait apparaître n’est pas seulement l’individu, mais le couple individu-milieu. » (p. 12). Dans cette conception, le devenir est une dimension de l’être. L’individu est un être en devenir et un être en relation. Il n’est ni stable, ni isolable de son milieu.

« L’être concret, ou être complet, c’est à dire l’être préindividuel est un être qui est plus qu’une unité. » (p. 13).   »L’unité et l’identité ne s’appliquent qu’à une des phases de l’être, postérieure à l’opération d’individuation  (…) elles ne s’appliquent pas à l’ontogénèse entendue au sens plein du terme, c’est à dire au devenir de l’être en tant qu’être qui se dédouble et se déphase en s’individuant. » (p. 14).

« Le vivant conserve en lui une activité d’individuation permanente : il n’est pas seulement résultat d’individuation, comme le cristal ou la molécule, mais théâtre d’individuation. » (p. 16).

« Le vivant résout des problèmes, non pas seulement en s’adaptant, c’est à dire en modifiant sa relation au milieu (…), mais en se modifiant lui-même, en inventant des structures internes nouvelles… » (p. 17).

« Le psychisme est poursuite de l’individuation vitale chez un être qui, pour résoudre sa propre problématique, est obligé d’intervenir lui-même comme élément du problème par son action, comme sujet ; le sujet peut être conçu comme unité de l’être en tant que vivant individué et en tant qu’être qui se représente son action à travers le monde comme élément et dimension du monde.  » (p.19).

Mais le psychisme ne peut se résoudre au niveau de l’être individué seul : il est le fondement de la participation à une individuation plus vaste, celle du collectif. (…) Au collectif pris comme axiomatique résolvant la problématique psychique correspond la notion de transindividuel. » (p. 22).

« Nous entendons par transduction une opération physique, biologique, mentale, sociale, par laquelle une activité se propage de proche en proche à l’intérieur d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration du domaine opérée de place en place.  »

« L’opération transductive est une individuation en progrès »

« La transduction est l’apparition corrélative de dimensions et de structures dans un être en tension préindividuelle ». (p. 25).

Extraits d’un article d’Yves Schwartz

Yves Schwartz

Philosophe du travail, professeur émérite à l’Université d’Aix en Provence

« L’expérience est-elle formatrice ? » est le titre d’un article de la revue Éducation Permanente (n°158 mars 2004) dans lequel Yves Schwartz pose la question de l’articulation entre le savoir formel et celui que peut apporter l’expérience, notamment celle du travail. Ci-dessous quelques extraits de cet article :

« Toute situation de travail est toujours en partie (…) application d’un protocole et expérience ou rencontre de rencontres. (…) Dans nos environnements de travail, régulés par des normes techniques, économiques, gestionnaires, juridiques, toute situation de travail est toujours partiellement l’application de normes antécédentes, qui, s’il n’y avait qu’elles, feraient d’une situation de travail l’équivalent d’un protocole expérimental. Il faut ainsi distinguer profondément l’expérimentation et l’expérience, c’est à dire la rencontre ». (…) D’une certaine manière, l’ambition du gouvernement taylorien de travail était de faire des actes de travail l’équivalent d’un protocole expérimental où tout aurait été pensé par d’autres avant que les exécutants n’agissent» (p. 18).

Mais l’expérience est toujours « une rencontre de personnes, de situations singulières, de milieux particularisés par leur histoire commune, d’outils de travail : une rencontre de rencontres en somme. (…) Toute activité est un débat, une dramatique, en ce sens qu’il se passe quelque chose entre des normes antécédentes – ce qui est du côté du protocole – et tout ce qui concerne la rencontre de rencontres.» (p. 19).

En savoir plus : http://www.translaboration.fr/wakka.php?wiki=SchwartZ

Roland Barthes (1915-1980)


Quelques extraits du texte de la leçon inaugurale au Collège de France
(Leçon, éditions du Seuil, 1978):

Le pouvoir (la libido dominandi) est là, tapi dans tout discours que l’on tient, fût-ce à partir d’un lieu hors pouvoir. (…)

C’est en effet de pouvoir qu’il s’agira ici, indirectement mais obstinément. L’ « innocence » moderne parle du pouvoir comme s’il était un : d’un côté ceux qui l’ont, de l’autre ceux qui ne l’ont pas ; nous avons cru que le pouvoir était un objet exemplairement politique ; nous croyons maintenant que c’est aussi un objet idéologique, qu’il se glisse là où on ne l’entend pas du premier coup, dans les institutions, les enseignements, mais en somme qu’il est toujours un. Et pourtant, si le pouvoir était pluriel, comme les démons ? (…) partout, de tous côtés, des chefs, des appareils massifs ou minuscules, des groupes d’oppression ou de pression ; partout des voix « autorisées », qui s’autorisent à faire entendre le discours de tout pouvoir, : le discours de l’arrogance. Nous devinons alors que le pouvoir est présent dans les mécanismes les plus fins de l’échange social. (…)

J’appelle discours de pouvoir tout discours qui engendre la faute, et partant la culpabilité, de celui qui le reçoit. (p. 10-11). Lire la suite

Mikhail Bakhtine (1895-1975)

Extraits de Todorov T. (1981) Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique… Seuil.

Les phrases entre guillemets sont des citations, celles en italiques sont attribuées à Bakhtine, les autres sont de Todorov (les N° de pages sont celles du livre de Todorov qui donne les références d’origine pour les citations de Bakhtine ou d’auteurs appartenant au « cercle de Bakhtine », comme V. Volochinov ou P. Medvedev).

Bakhtine (1895-1975) y est présenté comme l’un des plus grands théoriciens de la littérature, et plus généralement du texte, au sens large : tout discours, toute parole, tout énoncé humain, « comme produit de l’interaction entre la langue et le contexte d’énonciation – contexte qui appartient à l’histoire » (p.8).

« l’énoncé n’est pas individuel… le caractère le plus important de l’énoncé est son dialogisme, c’est à dire sa dimension intertextuelle… » (p.8).

« l’être humain (…) n’existe qu’en dialogue : au sein de l’être on trouve l’autre. » (p.9).

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Walter Benjamin (1892-1940)

Quelques citations extraites de « Sens unique » de W. Benjamin (1928, traduction française par Jean Lacoste, 1978, nouvelle édition 1988, Ed. Maurice Nadeau) :

« L’efficacité littéraire, pour être notable, ne peut naître que d’un échange rigoureux entre l’action et l’écriture ; elle doit développer, dans les tracts, les brochures, les articles de journaux et les affiches, les formes modestes qui correspondent mieux à son influence dans les communautés actives que le geste universel et prétentieux du livre. » (p. 139)

« Les œuvres achevées ont pour les grands hommes moins de poids que ces fragments sur lesquels leur travail dure toute la vie. » (p. 143).

« Tout indique que le livre sous cette forme traditionnelle approche de sa fin. » (p. 163).

« L’objectivité doit être toujours sacrifiée à l’esprit de parti si en vaut la peine la cause pour laquelle on se bat. » (p. 172).

Bensaïd : Walter Benjamin Sentinelle messianique à la gauche du possible (Plon, 1990)

Dans ce livre, Daniel Bensaïd propose une lecture de la pensée de Benjamin, qu’il résume en disant qu’il s’agit d’un messianisme politique, démocratique et libérateur. (lire la suite sur  le site translaboration : http://www.translaboration.fr/wakka.php?wiki=BenjamiN