A propos pierre hébrard

A vécu en France (Perpignan, Avignon, aujourd'hui Montpellier) et aussi au Canada (Toronto) et en Algérie... A été actif comme formateur, enseignant, chercheur et l'est encore... et aussi lecteur (beaucoup) et écriveur (un peu) ici et là : www.translaboration.fr

Cécile Wajsbrot : Cette place désormais vide

Qu’y a-t-il de privé dans la perte de quelqu’un, de personnel, qu’y a-t-il de collectif ? Que peut-on partager ? (…) Je gardais en mémoire des conversations, des moments, des sourires, des expressions, des intonations, mais tout cela ne faisait pas une personne, tout au plus un souvenir, et il fallait désormais vivre avec ces éclats en tentant de recomposer une image. Avant je n’avais pas conscience de la confiance qu’il faut, par exemple, pour acheter un livre et le ranger dans sa bibliothèque en se disant, je le garde pour plus tard ou commencer et puis le reposer, sentant que le moment n’est pas encore venu. La confiance qu’il faut pour se dire plus tard. Pour penser qu’on pourra. Qu’il ne sera pas trop tard. Et donc, voir quelqu’un de loin en loin, ne pas penser à chaque fois, y aura-t-il une autre fois, croire à la continuité des choses. (…) Et un jour quelqu’un disparaît, et on regrette. Si on s’était vus davantage, si on avait su, si telle parole, au lieu de tomber dans le silence ou de rester implicite, avait été relevée, commentée, estimée à sa juste valeur, si telle réponse avait résonné autrement. Ce qu’on garde, ce qu’on oublie, ce qui est là sans qu’on le sache, et peut-être resurgira un jour – ce qui est définitivement perdu. Aura-t-il su, aura-t-elle su ce qu’il représentait, ce qu’elle comptait ? Cette place désormais vide, qu’en faire ?

Cécile Wajsbrot Nevermore Le Bruit du temps, 2021, p. 80.

 

La question du récit (Christine Jeanney)

C’est la question du récit. Comment on l’accroche au lieu, le récit. En réparant, il faut recoudre ce récit. Ça passe parfois par de petites choses. On n’est pas forcé d’accepter une décision absurde. Il y a tout ce que ça pourrait devenir. Vous lirez ou vous ne lirez pas, mais au fond c’est une histoire qu’on écrit ensemble. Cette disparition, c’est la disparition d’une pensée collective.

Christine Jeanney

http://remue.net/sismo-paragraphe-27-03

 

W. Benjamin : l’université, le langage et l’esprit

Il s’agissait alors d’assurer l’autonomie d’une université aliénée par l’Etat, la famille ou la profession, en l’accordant à sa finalité interne, à l’esprit. Ceci suppose que l’esprit n’obéisse lui-même  qu’à sa propre loi, le langage, auquel, dès ses premiers travaux Benjamin l’identifie.

Philippe Ivernel « Walter Benjamin Critique en temps de crise » Klincksieck, 2022 (p. 44).

« institution » Daniel Hameline

 

Pourquoi qualifier une pédagogie d’«institutionnelle»? J’étais spontanément habité, comme n’importe qui, par un terme, passé dans la langue courante, celui des «institutions». De ces institutions, l’école fait partie. En ce sens, toute pédagogie n’est-elle pas «institutionnelle»? L’école est, en effet, dans une société moderne, une de ses institutions les plus fondamentales, avec les caractères que semble revêtir toute institution : pérennité (comme si elle était «déjà là» depuis toujours!) et donc priorité d’importance et d’ancienneté sur les personnes et les groupes, autorité anonyme et, le plus souvent, lointaine, légitimité allant de soi quoiqu’il arrive dans les faits.

Les évènements de 1968 eurent la réputation d’avoir ébranlé ces institutions, d’avoir mis à jour leur sclérose, leur enflure bureaucratique inévitable, la tendance à devenir à elles-mêmes leur propre but et à s’inscrire dans la durée pour la durée, non pour le service qu’elles sont censées rendre. Et voilà qu’une pédagogie, plutôt réformatrice, voire révolutionnaire, était qualifiée, dès avant 1968, d’«institutionnelle».

Pour comprendre le choix de ce qualificatif (…), je vais vous imposer un bref passage par une réflexion sémantique, dont je vous prie d’excuser les risques de pédanterie. Le Français – la Langue française – est un usager impénitent du suffixe «tion». Ainsi le verbe «instituer» donne comme substantif «institution». J’«institue» peut se dire aussi «j’effectue une institution», «je suis en train d’instituer». Remarquez alors ce point capital : le verbe «instituer» est ici un verbe actif. Mais surtout le substantif qu’il engendre l’est tout autant, actif: qu’est-ce que l’institution? C’est l’acte d’instituer. Bien sûr, le mot «institution» va vite prendre un sens passif pour désigner le résultat de l’acte d’instituer. C’est là que le français nous trahit. Car ce sens passif nous fait oublier le sens actif du mot et donc de l’adjectif qui lui correspond: une pédagogie peut être dite «institutionnelle» quand elle permet aux acteurs et actrices de l’acte éducatif de poser ensemble, maitres/maitresses et élèves, l’acte même d’instituer. Et cet acte d’instituer consiste à donner à un projet collectif, un site, un statut, des modalités d’existence assumées et acceptées (une loi commune?), et surtout une durée, toutes caractéristiques appelées à ne pas devenir une «institution» au sens passif du terme.

 

Daniel Hameline, Colloque «Soigner le milieu. Actualité et fécondité de la pédagogie institutionnelle.» organisé le 3 décembre 2022 à l’Université de Genève.

Revue Educateur Numéro 2 Février 2023 <https://www.le-ser.ch/educateur>

 

 

Olivier Marboeuf : catégories de savoirs

 

Cette fâcheuse situation de mauvais.es Nègres a plusieurs origines et l’une d’entre elles est particulièrement saillante en France : la difficulté à tisser des formes de pensée et de sensation, de perception et de réflexion, critiques qui associent différentes perspectives et catégories de savoirs. Si des formes de vie et d’agir constituent des objets d’études, [...] elles ne sauraient porter, par elles-mêmes, des savoirs dignes de participer à des frictions créatives sans une médiation-traduction autorisée. Ainsi les militant.es seront toujours trop fiévreux.ses, aveuglé.es par des luttes les éloignant d’une hypothétique scientificité qui permettrait à leurs paroles, expériences et visions de trouver une place dans le débat universitaire. Il en va de même de tout un ensemble de savoirs vécus et de productions émotionnelles qui sont les trésors que nous offrent celleux dont le corps est archive et qui détiennent de ce fait une des clefs essentielles des rituels de réparation. [...] Lire la suite

Daniele Lorenzini : le pouvoir des mots

Le problème de la force du vrai est bien entendu étroitement lié à celui de la force ou du pouvoir des mots, c’est à dire de l’efficacité du langage, de la  capacité qu’a le langage de « faire » quelque chose (ou, comme l’écrit Oswald Ducrot, de transformer la réalité). Poser ce problème à propos de la parrésia conduit pourtant à mettre en question la thèse selon laquelle l’efficacité du langage n’est fondée que sur l’accomplissement d’une certaine procédure conventionnelle ou institutionnelle – la thèse, en d’autres termes, selon laquelle pour produire des effets sur le réel, le langage est toujours obligé de reproduire des normes déjà établies. L’étude de l’énoncé parrésiastique [...] témoigne au contraire de la capacité qu’ont les mots – dans certaines circonstances et sous certaines conditions – de subvertir les normes instituées et de transformer donc la réalité de manière non prévue et non prévisible à l’avance.

Daniele Lorenzini : La force du vrai.De Foucault à Austin, Le bord de l’eau, 2017, pp. 13-14

Louis Staritzky Chronique d’une recherche-action

Se mettre en recherche c’est donc être en mesure de voir et sentir ce à quoi nous n’aurions pas nécessairement porté attention, soit parce que cette chose (expérience, collectif, situation) serait dans l’angle mort de nos réalités ou, au contraire, parce que nous la jugerions trop banale, ordinaire, quotidienne. Il s’agit donc à la fois d’être attentif et sensible aux expériences mineures, celles qui nous décalent de notre quotidien et, en même temps, à celles, tout à fait ordinaires, que nous ne cessons de croiser sans avoir pour autant l’habitude de les questionner, une manière de replacer le politique au centre de notre vie de tous les jours. Ces deux approches dessinent l’espace dense et multidimensionnel de nos situations de recherche, une écologie de l’attention qu’il nous faudra cultiver collectivement. Lire la suite

Penser à partir de soi, de ses émotions, pour se relier aux autres

Si nous esquissons les lieux interstitiels de notre champ d’action – tout en entretenant avec vigilance leur indéfinition -, c’est que nous écrivons les espaces liminaux de nos souhaits d’émancipation. Par ce geste, nous nous autorisons à partir, à quitter la trame serrée, éprouvée dans l’infra-ordinaire des pratiques de recherche institutionnalisées. Celles-là même que nous avons tant convoitées, apprises, intériorisées – précisément pour trouver une place, s’intégrer – mais jamais digérées. Ces pratiques qui nous éloignent de nous-mêmes et des mondes qu’elles prétendent appréhender. Ces pratiques ultra-normatives que nous pensions désirer faute de mieux, faute d’alternatives, faute d’allié.es, fautes de vécus collectifs différents. Nous devons faire le deuil de ces pratiques que nous ne désirons pas ; pour renouer avec la joie et la vitalité de l’enquête, offrir de l’air à nos existences et aux savoirs qu’elles nous permettent de fabriquer, à partir de nos vécus, nos émotions, nos corps. Revenir à nous-mêmes, aux autres et aux mondes (se remembrer – remember chez Haraway), quitter la prétention de l’objectivité et de la distance, pour penser au contact, faire appel aux mondes réels et entretenir notre capacité à répondre (respons-ability chez Haraway) à l’insistance des possibles dans un même geste revitalisant.

Lena Dormeau et Mélodie Fleury Faire le deuil de ce qu’on ne désire pas.

https://infusoir.hypotheses.org/8860

 

 

Récit du Grand Lustucru

Citation

Spontanément, on a commencé à désigner les forces contraires, les formes hétéroclites, les sensations mêlées qui accompagnaient une balade comme « quelque chose de Grand Lustucru », « c’est assez Lustucru ça ». Formules impossibles à définir en général, mais ressenties et exprimées dans un moment qui pouvait se prolonger en d’autres, et recouper des observations plus larges.

Julien Martin Varnat, Explorations urbaines. Analyse et récits du Grand Lustucru, Editions du commun, 2021.

 

Cécile Canut : praxis langagières

Face à cette police des mots d’ordre, se font jour des inventions, des créations, des subversions et toutes sortes de praxis tentant de mettre hors-jeu l’ordre-de-la-langue. S’ouvre alors un monde, celui, politique cette fois, du langagiaire, qui s’exerce dans le rythme, la voix, les gestes, les mots, les énoncés, la parole ou même l’écriture. C’est en ce lieu que se constituent de nouveaux agencements collectifs d’énonciations, de nouvelles positions subjectives, de nouvelles places sociales.

Cécile Canut. Provincialiser la langue. Langage et colonialisme. Ed. Amsterdam, 2021, 265