A propos pierre hébrard

A vécu en France (Perpignan, Avignon, aujourd'hui Montpellier) et aussi au Canada (Toronto) et en Algérie... A été actif comme formateur, enseignant, chercheur et l'est encore... et aussi lecteur (beaucoup) et écriveur (un peu) ici et là : www.translaboration.fr

déstabiliser l’oppresseur

Imaginer le champ de bataille

contre l’oppression

dans un autre espace

que celui que fréquente habituellement

l’oppresseur

c’est déjà déstabiliser l’oppresseur

qui analyse toujours

sa situation de dominant

avec une théorie opérationnelle

fonctionnant uniquement dans l’espace

de la théorie qu’il comprend

Serge Pey  Dialectique de la tour de Pise

Dernier télégramme, 2010

Nelson Goodman : faire des mondes

Le philosophe américain Nelson Goodman a suggéré que le monde s’appréhende comme un ensemble de mots et de symboles. Au lieu d’être un donné, le monde se présente comme une construction, ou plutôt une perpétuelle reconstruction au gré de la culture et de l’histoire des humains. Parmi eux, les philosophes, les scientifiques et les artistes procèdent activement à sa « reconception » et en proposent différentes versions.

A propos de la relation ente le monde réel et la fiction, dans le roman, Tiphaine Samoyault (dans la revue Romantisme 2/2007, n° 136, p. 95-104) écrit :

La question, dès lors, n’est plus : de quoi est fait ce monde ? mais : est-ce un monde ? ou bien quand y a-t-il monde ? À saisir le problème en terme de fiction, on est toujours pris dans une logique de la différence ou de la distinction qui rend la notion de monde soit analogique, soit inadéquate. La pensée de Nelson Goodman [1] semble confirmer cette hypothèse puisque les « versions » du monde offertes par la fiction ne sont mondes que par différence. Mais l’intérêt de la réflexion de Goodman pour la catégorie de roman-monde tient au fait qu’il insiste sur la capacité référentielle de ces mondes et sur leur fonction pour la connaissance. « Qu’elle soit écrite, peinte ou agie, la fiction ne s’applique alors véritablement ni à rien, ni à des mondes possibles diaphanes, mais aux mondes réels, quoique métaphoriquement. »  Elle participe en cela à la construction de mondes réels. En dégageant la fiction de la question du possible, Goodman permet de penser le roman-monde non comme celui qui veut livrer une représentation totale du monde, ni comme celui qui tente de relayer cette totalité impossible par la construction d’un monde parfaitement autonome dans le langage, mais celui qui contribue à construire (to make) le réel, c’est-à-dire la connaissance que l’on peut avoir du monde. La fiction n’est pas le monde, mais une manière de faire monde quand par « faire monde », il faut entendre la mise au jour d’une compréhension, d’une vérité d’ordre métaphorique.
URL : www.cairn.info/revue-romantisme-2007-2-page-95.htm.

A côté du roman, de la fiction, la recherche est une autre façon de faire monde, de construire la réalité, avec ses instruments conceptuels visant à produire une vérité d’ordre scientifique. (Voir aussi la distinction entre la réalité et le monde chez Boltanski (De la critique, Gallimard, 2009, p. 93)

Voir aussi : Nelson Goodman : La fabrique des mondes 
http://www.seroux.be/spip.php?article181


[1] Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, trad. de l’anglais par Marie-Dominique Popelard, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1992. (Paris, Gallimard, 2007)

penser hors de la hiérarchie

« si nous ne comprenons pas clairement que nous voulons remettre en cause une certaine hiérarchie et si nous n’analysons pas la hiérarchie de façon non seulement à la renverser, mais même à penser en dehors d’elle, nous resterons prisonniers des termes mêmes de cette hiérarchie ».

Pierre Vesperini. Retour sur les “mains de l’intellect” (27/11/ 2013)

http://lieuxdesavoir.hypotheses.org/1255

 

Une identité-relation (Édouard Glissant)

« Les identités fixes deviennent préjudiciables à la sensibilité de l’homme contemporain engagé dans un monde-chaos et vivant dans des sociétés créolisées. L’Identité-relation, ou l’ »identité-rhizome » comme l’appelait Gilles Deleuze, semble plus adaptée à la situation. C’est difficile à admettre, cela nous remplit de craintes de remettre en cause l’unité de notre identité, le noyau dur et sans faille de notre personne, une identité refermée sur elle-même, craignant l’étrangeté, associée à une langue, une nation, une religion, parfois une ethnie, une race, une tribu, un clan, une entité bien définie à laquelle on s’identifie. Mais nous devons changer notre point de vue sur les identités, comme sur notre relation à l’autre. Nous devons construire une personnalité instable, mouvante, créatrice, fragile, au carrefour de soi et des autres. Une Identité-relation. C’est une expérience très intéressante, car on se croit généralement autorisé à parler à l’autre du point de vue d’une identité fixe. Bien définie. Pure. Atavique. Maintenant, c’est impossible, même pour les anciens colonisés qui tentent de se raccrocher à leur passé ou leur ethnie. Et cela nous remplit de craintes et de tremblements de parler sans certitude, mais nous enrichit considérablement. »

Édouard Glissant, Le Monde, 3/02/2011

Quatre citations : qu’est-ce que l’homme, l’individu ?

« Feuerbach résout l’essence religieuse en l’essence humaine. Mais l’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux ».

K. Marx. Ad Feurbach, 1845.

« nous assistons à chaque instant à ce prodige de la connexion des expériences, et personne ne sait mieux que nous comment il se fait puisque nous sommes ce noeud de relations. »

M. Merleau-Ponty. Phénoménologie de la perception. Gallimard. 1945. Avant-propos, p. XVI.

 » L’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie. »

J.P. Sartre. L’existentialisme est un humanisme. Gallimard, 1996. p. 51. (Première édition Nagel, 1946)

« L’individu n’est au fond que l’intersection de composantes institutionnelles. Même ses rêves sont institutionnels, branchés sur des films, des séquences télévisuelles ; tout cela, c’est de l’institution ! »

Félix Guattari. Qu’est-ce que l’écosophie ?
Lignes IMEC, 2013 (1985), p. 228.

Un numéro hors série de la revue « le sujet dans la cité »

Vient de paraître, le numéro 2 hors série Actuels de cette revue, sous la direction de J. J. Schaller (enseignant-chercheur à Paris 13) : L’intervention sociale à l’épreuve des habitants.

L’ouvrage présente l’expérience de la« Recherche Action Qualifiante » (RAQ) menée entre des professionnels de l’action sociale (Sauvegardes de l’enfance et de l’adolescence de l’Ouest de la France) et des enseignants- chercheurs de l’Université Paris 13/Nord (Centre de recherche EXPERICE), et indique en même temps des pistes permettant sa transposition en d’autres lieux.

La revue est éditée par L’Harmattan.

Guattari sur « les modes de production de subjectivité »

 

Dans un entretien pour la revue Transversales, en 1992 (?), publié dans Qu’est-ce que l’écosophie ? (Lignes IMEC. 2013), à une question sur les formes que pourrait prendre le pôle progressiste (les tentatives d’émancipation), Guattari répond :

« Il est tout à fait susceptible d’emprunter des habits anciens coupe Staline ou coupe Mao ou de se colorer de diverses manières d’utopisme à la recherche d’un nouveau contrat social ou d’un nouveau contrat cosmique… » (…)

Au détriment, encore une fois de la singularité, de la spécificité des positions subjectives. Et pourtant je pense que ce n’est pas à partir d’un tel recentrement sur le social-idéologique que pourra s’opérer un véritable mouvement de libération sociale, mais plutôt à partir de la prise en compte de ce que j’appelle globalement : les modes de production de subjectivité. Le recentrement devra se faire à un niveau éthique qui est celui de la resingularisation des pratiques sociales et des pratiques individuelles, des pratiques de construction de soi-même. En ce sens on passera d’un paradigme qui se voulait scientifique aux différentes époques et sutures du socialisme, à un paradigme plus éthico-esthétique, c’est à dire plus axé sur la création de soi-même, de son rapport au corps, au monde, à l’autre… Ce rapport à l’autre est fondateur d’une éthique que j’ai baptisé écosophie. Cette éthique ne concerne pas seulement l’altérité humaine toute constituée, le rapport aux individus, aux semblables, mais la prise en compte du dissemblable, du dissensus, de la différence dans l’ordre humain, animal, végétal, et le rapport au cosmos, aux valeurs incorporelles telles que la musique, les arts plastiques, etc. » (p. 280-281).

Une citation de Charles Juliet

A propos d’une citation de Descartes, l’écrivain nous donne une assez belle définition de ce qu’est une pensée réflexive et critique qui, notamment dans la dernière phrase, est très proche de ce que j’appelle « translaboration ».

 

« Descartes (…) Que nous dit-il ? Il nous dit cette chose essentielle :  » Il faut trouver la source et se transformer soi-même. » Or trouver la source, c’est remonter à l’origine de la pensée. C’est faire en sorte que celle-ci pénètre en elle-même, élucide sa propre activité, et pour finir, s’affranchisse de ce qui la conditionne. Si ce travail de récurage est effectué – il est toujours à reprendre et ne doit jamais cesser – alors survient cette mutation qui donne sens à la vie.

Ceux qui font profession de penser, s’ils veulent penser par eux-mêmes, ils doivent conquérir cette liberté qui ne s’obtient que lorsque la pensée se dégage de ce qui la détermine. Ce n’est que dans ces conditions qu’elle peut tendre à l’objectivité, à l’universel.

L’étrange est que très peu d’êtres éprouvent le besoin de déconditionner leur pensée et de se transformer. Se transformer pour devenir pleinement soi-même. Et ainsi passer du moi au soi. Aller vers toujours plus de lucidité, de conscience, d’ouverture, de compassion, de présence à soi-même et aux autres… »

Charles Juliet, Apaisement. Journal VII. 1997-2003. POL. 2013. (p. 74)

 

Avec une nuance peut-être : je ne crois pas que la pensée puisse se dégager totalement de ce qui la détermine ; elle peut seulement en prendre conscience, au moins pour une part, et tenter de prendre un peu de distance, de recul, par rapport aux implications de celui qui pense. La pensée reste toutefois toujours située (localement et historiquement) et impliquée. Elle peut « tendre à l’objectivité, à l’universel », mais elle reste peu ou prou subjective et singulière, comme toute parole humaine.

Guy Jobert : « Exister au travail »

Vient de paraître le livre de Guy Jobert « Exister au travail. Les hommes du nucléaire », aux éditions  Erès.

Présentation de l’éditeur :

Dans le cadre de notre activité de travail, par quels moyens et à quel prix tentons-nous d’exister, de nous développer au milieu des autres, et de donner du sens à notre action ?

En ethnologue du monde du travail, Guy Jobert a partagé la vie et écouté longuement les agents de conduite de centrales nucléaires françaises. Il analyse comment ceux-ci explorent des voies multiples pour tenter de faire de leur travail un lieu de construction identitaire ou pour réduire les dangers qu’il fait peser sur leur équilibre. Au-delà des hommes du nucléaire, il montre que tout travailleur mène en permanence deux activités, distinctes mais totalement liées : l’une qui répond directement à sa mission productive et l’autre qui consiste à exister personnellement dans et par son travail. Ces activités demandent toutes deux compétences, efforts, invention, et sont toutes deux menacées par l’échec. L’enjeu pour le travailleur est considérable. Cette perspective confère au travail une place centrale dans la construction de la personne humaine.