l’individuel et le collectif

« Nous déplaçons les lignes peu à peu à la recherche de ce que nous espérons, mais pour cela il est nécessaire que le collectif ne nous bloque pas.

Je ne pose pas ici la question du meilleur sous une perspective individuelle, mais sous une perspective collective et politique, dont il est impossible de faire l’économie. Ou si on veut, je la pose sous une perspective individuelle dans ce par quoi l’individuel ne peut pas complètement s’abstraire du collectif, ne peut pas entièrement lui échapper, dans ce par quoi, l’individuel, en tant qu’il est un fragment du collectif, en porte aussi les caractéristiques, ne peut pas lui échapper complètement, ne peut pas s’en abstraire hermétiquement.

Sinon sans doute la solution serait-elle de s’abstraire hermétiquement du collectif, mais c’est impossible. On ne peut qu’écarter cette hypothèse : le collectif ne cesse de nous revenir au visage et de nous reprendre comme une vague. Je ne vois pas comment nous sortirions indemnes d’un jeu collectif.

(…)

Or nous, donc, plongés dans le collectif et tentant de dessiner l’individuel que nous sommes, que nous cherchons à être, nous heurtant sans cesse à l’énigme double : chercher à être ce que nous sommes, sans le savoir, car ce qui nous guide ne nous est pas donné, mais demande à être construit ; tenter de le concilier avec un devenir collectif dont nous ne savons pas à quel point, dans quelle mesure, il influe sur nous, nous désoriente, nous impose des repères qui ne sont pas les nôtres.

Je crois que le problème est là, dans une articulation du singulier que nous cherchons à être, sans savoir quel il est, avec un collectif dont nous ne savons pas à quel point exactement il nous détermine. Mais d’avoir identifié le problème nous en donne-t-il la solution ?

Isabelle Pariente-Butterlin  Constat 12 (sans résolution)

http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2095
1ère mise en ligne et dernière modification le 31 décembre 2014.

La critique comme autoconstitution

Dans un chapitre  sur la « gestualité critique » du livre d’Yves Citton « Gestes d’humanités », une section a pour titre : « la critique comme autoconstitution ».  Il y écrit notamment :

« Il est donc bien trop simple d’affirmer que nous sommes ce que nous lisons ou ce que nous mangeons : nous ne nous singularisons que par ce que nous retenons dans ce que nous lisons ou mangeons, par ce que nous en filtrons. Plus précisément encore : davantage que dans les substances que je filtre au sein des flux qui me traversent, mon identité consiste plutôt dans le filtre lui-même, dans le goût (raffiné et toujours en voie de raffinement) qui dirige les discriminations que j’opère autour de moi et en moi.

Le style. Le filtre critique ne constitue pas un geste particulier, mais ce qui me permet de sélectionner certains gestes parmi tous ceux qui me traversent. Mon identité se définit par les gestes dans lesquels je me reconnais. De même que l’état d’attention me permet d’habiter le geste que je suis en train de faire, de même l’attitude critique me permet de « reconnaitre et saisir » certains des gestes qui me traversent, pour en tirer l’occasion de faire progresser mon individuation. »

Yves Citton : Gestes d’Humanités, Armand Colin, 2011, p. 146.

 

Exister par la parole

« Dès lors que nos ancêtres ont vécu dans un milieu où l’on parlait, il est devenu désirable pour chaque individu de prendre place parmi les autres en parlant lui aussi. Comme l’a bien vu Jean-Louis Dessalles, le profit qu’il y a à parler ne s’explique pas seulement en termes utilitaires : il s’agit, en se liant aux autres et en suscitant leur intérêt, de s’intégrer à un cercle existant, d’en former un ou de renforcer son prestige. L’information, en justifiant que l’on dise son mot, et que l’on se montre pertinent, est souvent moins un but qu’un prétexte : en réalité, on désire se faire reconnaître, s’affilier, entretenir un contact. Bref, exister. »

François Flahault, Où est passé le bien commun ? Mille et une nuits, 2011, p. 98.

être et langage

« l’être humain ne saurait accéder à lui-même que dans un monde commun, un ensemble de biens collectifs : langage, représentations, institutions, organisation de l’espace et du temps, manières de faire et d’être, bref une culture, laquelle constitue pour chacun un milieu vital. Il n’empêche que, sans l’existence sociale pré-humaine, le langage n’aurait pu se développer, et sans le développement du langage l’Homo sapiens ne serait pas apparu. (…) Et langage et société constituent eux-mêmes le milieu indispensable à l’éveil de la conscience de soi.

François Flahault : Le paradoxe de Robinson. Capitalisme et société. Descartes et compagnie. Mille et une nuits. 2003, p. 66.

Castoriadis : l’articulation entre le sujet et le social

« la démarche de Castoriadis a été l’inverse de celle des psychanalystes. Il est parti du champ social pour s’intéresser dans un second temps à la psyché, ce qui atteste d’une démarche originale dans la manière d’interroger l’articulation entre le sujet et le social. (…) La réponse suggestive que donne Castoriadis est de situer ce point d’articulation dans la sphère de l’imaginaire, lieu de rencontre entre le sujet et son imaginaire radical étayé sur ses sources pulsionnelles et entre les significations imaginaires de la société. Il en résulte un processus d’appropriation ou de refus plus ou moins intense qui aura pour effet de conforter l’hétéronomie existante ou de développer les forces agissantes vers davantage d’autonomie.

François Dosse : Castoriadis. Une vie. La Découverte, 2014, p.197-198.